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Reviewed by:
  • Le fil de l’écrit. Une anthropologie de l’alphabétisation au Mali by Aïssatou Mbodj-Pouye
  • Éric Jolly
Aïssatou Mbodj-Pouye
Le fil de l’écrit. Une anthropologie de l’alphabétisation au Mali
Lyon, ENS Éditions, 2013, 316 p.

Cet ouvrage est issu d’une longue recherche de terrain centrée, au début des années 2000, sur un village malien de la zone cotonnière. Au sein de cette localité, les usages collectifs et personnels de l’écrit sont analysés au regard à la fois des filières locales d’alphabétisation, du statut social et familial des scripteurs, de leur formation lettrée, de leur multilinguisme éventuel, de leur parcours individuel, de leurs stratégies et des modèles dont ils disposent (qu’ils soient professionnels, scolaires, religieux ou urbains). Fondée sur une ethnographie minutieuse et sur une grande proximité entre l’auteure et ses hôtes, cette étude sur une société en cours d’alphabétisation saisit de façon originale la place de l’écrit dans les dynamiques sociales, les stratégies de pouvoir et les changements en cours, en particulier les processus de redéfinition des rapports entre soi et les autres. Elle permet aussi, in fine, de donner une autre image de sociétés connues avant tout pour leurs traditions orales et pour leur organisation communautaire.

À la croisée de l’anthropologie et de la sociolinguistique, ce travail novateur s’inscrit clairement dans le courant des new literacy studies, encore peu développé en France en dehors justement des recherches pionnières d’Aïssatou Mbodj-Pouye 1. Le livre réunit toutes les caractéristiques positives de ce type d’approche contextualisée de l’écrit (portraits fouillés, descriptions détaillées de scènes d’écriture, interrogations sur l’autorité ou le statut que confère l’écrit, examen anthropologique des différentes réappropriations personnelles de l’écrit). Il évite en revanche le défaut parfois imputé aux new literacy studies de négliger la dimension historique de l’alphabétisation dans la région étudiée. Ce travail prolonge également les études ethnologiques françaises des années 1970-1980 sur l’écriture ordinaire, mais il traite de pratiques singulières, hybrides et complexes, qui sortent nécessairement de l’ordinaire dans un contexte multilingue et dans une société à tradition orale récemment et partiellement alphabétisée.

Pour observer, recueillir et interroger des écrits hétérogènes – de la liste de courses aux notes professionnelles, familiales ou « secrètes » –, A. Mbodj-Pouye s’arme d’un solide outillage méthodologique qu’elle présente et discute sans jamais éluder les problèmes rencontrés ni les rares pratiques qui ont pu être influencées par ses interactions avec les villageois. Sur le terrain, sa recherche reposait avant tout sur l’observation de scènes d’écriture, sur des entretiens directs en français ou en langue vernaculaire (grâce à son apprentissage préalable du bambara), sur un large corpus d’écrits partiellement photographiés, sur les commentaires des scripteurs à propos de leurs propres écrits, enfin, sur un questionnaire diffusé après l’instauration d’une relation de confiance entre l’auteure et ses interlocuteurs.

L’ouvrage est divisé en trois parties. La première, subdivisée elle-même en trois chapitres, reconstitue l’histoire régionale et locale de l’alphabétisation en langue bambara, française et arabe, avant d’analyser la dynamique de l’écrit et la diversité des parcours lettrés à l’échelle du village. Dans cette zone de production cotonnière, l’écrit occupe en effet une place privilégiée en raison de l’ancienne politique d’alphabétisation de la Compagnie malienne pour le développement des textiles (CMDT), un organisme semi-étatique créé en 1974 pour centraliser l’achat du coton et développer la région. Afin de déléguer certaines tâches à des associations villageoises gérées ou encadrées par des lettrés, la Cmdt a mis en place jusqu’aux années 1990 des formations en bambara à destination des producteurs de...

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