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Reviewed by:
  • Nikolaus Pevsner, arpenteur des arts. Des origines allemandes de l’histoire de l’art britannique by Émilie Oléron Evans
  • François-René Martin
Émilie Oléron Evans
Nikolaus Pevsner, arpenteur des arts. Des origines allemandes de l’histoire de l’art britannique
Paris, Demopolis, 2015, 333 p.

Depuis une vingtaine d’années, nombreux sont les travaux qui, en histoire de l’art, ont cherché à explorer le passé de la discipline, les grandes formations méthodologiques que sont le formalisme ou l’iconologie, ou bien ses figures les plus marquantes. Ce retour a avant tout profité à quelques grands noms : Johann Joachim Winckelmann, Jacob Burckhardt, Aloïs Riegl, Heinrich Wölfflin, Henri Focillon, Roberto Longhi, Erwin Panofsky et, surtout, Aby Warburg. Plus qu’un véritable réveil épistémologique, il correspond cependant, en un temps de remises en question et de dispersion des propositions méthodologiques, à une sorte de revival nostalgique d’une époque où de grandes figures pouvaient porter des projets intellectuels de grande ampleur et, dans le péril de la montée des totalitarismes et de la guerre, faire survivre des valeurs humanistes ainsi qu’un savoir disciplinaire infiniment exigeant.

Le livre d’Émilie Oléron Evans traite d’une figure singulière et importante de l’histoire de l’art : Nikolaus Pevsner (1902-1983), véritable monument dans la conscience patrimoniale britannique, essentiellement connu pour ses Buildings of England, gigantesque entreprise de recensement des édifices les plus marquants. Issu d’une thèse de doctorat, l’ouvrage s’affiche comme une biographie intellectuelle. C’est en même temps une réflexion épistémologique sur les origines allemandes de l’histoire de l’art britannique. On est d’ailleurs en droit de s’interroger sur la généralisation que semble porter le sous-titre : l’histoire de l’art britannique naît-elle vraiment avec Pevsner ? Avant lui, d’autres savants anglais, comme Charles Eastlake, ont lu et acclimaté les travaux d’autres grands Allemands, tels Gustav Friedrich Waagen et Johann David Passavant. Quoi qu’il en soit, l’ouvrage a le mérite de mettre au cœur du développement, avec la notion de transfert, l’innovation intellectuelle qui serait le propre des personnes « qui appartiennent à deux mondes, mais ne se sentent à l’aise dans aucun d’entre eux » (Paul Lazarsfeld). [End Page 542] Plus que la figure du savoir cumulé, ce sont celles de la marginalité et de l’insécurité qui peuvent permettre d’analyser non seulement la trajectoire sociale de Pevsner, mais aussi son œuvre, celle d’un savant qui ne chercha rien d’autre que de « prendre le contrôle de son errance au Royaume-Uni ».

Né en 1902 à Leipzig, issu d’une famille juive d’origine russe, Pevsner, fils d’une artiste qui accueillait dans son salon un milieu intellectuel cosmopolite, a grandi dans un milieu libéral et favorisé. Désireux très tôt de devenir historien de l’art, il se forma auprès de quelques grandes figures de la discipline : Wölfflin à Munich, Adolph Goldschmidt à Berlin, Rudolf Kautzsch à Francfort et, surtout, celui qui fut son directeur de thèse à Leipzig, Wilhelm Pinder. Nommé Privatdozent (chargé de cours) à Göttingen en 1929, Pevsner fut chassé de sa fonction à l’arrivée au pouvoir des nazis, en 1933, et s’exila au Royaume-Uni. Pendant plus de dix années, son œuvre d’historien de l’art se construisit dans une situation d’exil complexe, marquée par la difficulté de subsister, de s’imposer dans un pays tout d’abord rétif à faire une place à la diaspora intellectuelle et qui en vint, en 1940, à assimiler les réfugiés juifs aux ressortissants allemands, également considérés comme enemy alien. Quelques-uns des livres les plus marquants de Pevsner, comme Academies of Art: Past and Present (1940), furent écrits ou publiés en ces temps troublés, loin de tout confort institutionnel.

Du camp de Huyton où il fut interné, en mai 1940, comme ressortissant d’un pays ennemi, aux rues de Londres où il fut employé, à la fin de la même année, à déblayer les décombres des immeubles...

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