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Reviewed by:
  • La main de l’auteur et l’esprit de l’imprimeur, XVIe-XVIIIe siècle by Roger Chartier
  • Laurent Cuvelier
Roger Chartier
La main de l’auteur et l’esprit de l’imprimeur, XVIe-XVIIIe siècle
Paris, Gallimard, 2015, 416 p.

Dense et cohérent, ce nouveau recueil de Roger Chartier permet de revenir sur un double mouvement d’interrogations et de propositions qui [End Page 507] parcourt son œuvre et structure sa démarche intellectuelle : d’une part, l’histoire socioculturelle des mondes de l’écrit et des processus de fabrication de l’imprimé, d’autre part, des études situées des mécanismes de transmission et de circulation des textes. Dans cette double perspective, l’auteur a tissé une trame qui lie dix articles ou contributions, publiés entre 2001 et 2015, dans un ensemble démontrant un art maîtrisé de la relecture et de la compilation de morceaux choisis. L’harmonie ainsi constituée tient à une méthode certes éprouvée mais qui demeure néanmoins efficace : aborder les pratiques de l’écrit en croisant les questionnaires bibliographique, sociologique et historique.

La première ligne de force qui parcourt l’ouvrage vise à restituer, entre l’écrivain qui écrit et le lecteur qui lit, la chaîne de toutes les opérations de fabrication des imprimés. R. Chartier nous introduit par exemple « dans l’atelier de l’imprimeur » (p. 145) en analysant les « paratextes » de différentes éditions de Don Quichotte publiées entre 1605 et 1615. Historicisant la notion formulée par Gérard Genette, il analyse les éléments de la page de titre, véritable espace textuel où sont visibles autant l’intervention du censeur que les stratégies commerciales des libraires éditeurs, ou encore les traces du travail de l’atelier typographique. Une fois comparés, ces « paratextes », ou « préliminaires », apparaissent liés et déterminent le lieu où s’affirment la promotion de l’auteur ainsi que les controverses littéraires. Dans le même ordre d’idées, l’auteur rappelle l’importance des contextes d’édition en suivant les différentes étapes pour faire passer le corpus du théâtre shakespearien « de la scène au livre ». Ce processus implique non seulement ce « travail de l’éditeur » mais permet également de retracer l’évolution des dispositifs théâtraux ainsi que les mutations des goûts et des mœurs des publics et des lecteurs de William Shakespeare entre la fin du XVIe et le début du XIXe siècle. Ces différentes transformations contribuent alors à monumentaliser et canoniser le texte shakespearien, « détaché du théâtre pour entrer en littérature » (p. 254).

À travers les textes de Shakespeare et de Miguel de Cervantès – qui se situent au cœur de son parcours intellectuel 1 –, R. Chartier s’efforce également de circonscrire les spécificités de la littérature. C’est le thème du chapitre qui étudie le tournant du XVIIIe siècle et la naissance de la propriété littéraire fondée sur l’originalité des œuvres, l’individualisation de l’écriture et la canonisation de l’auteur, à travers notamment la mise en archive de ses manuscrits. En complément, d’autres chapitres se concentrent sur les formes littéraires antérieures et soulignent l’importance des variations matérielles et génériques 2. Un passage est par exemple dédié aux ruptures qui ont mené à l’invention du livre dans la longue durée : depuis l’émergence du codex entre le IIe et le IVe siècle, en passant par l’apparition du libro unitario aux XIVe-XVe siècles, qui rassemble « dans une même reliure les œuvres d’un seul auteur, voire, même, une seule œuvre » (p. 39), jusqu’à l’invention de la presse à imprimer et des caractères mobiles au milieu du XVe siècle. Deux autres chapitres sont centrés, l’un, sur le changement de genre et le passage du roman à la pièce de théâtre, à travers l’exemple de la Vida do grande Dom Quixote de la Mancha...

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