In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

Reviewed by:
  • Graffitis. Inscrire son nom à Rome, XVIe-XIXe siècle by Charlotte Guichard
  • Claire Bustarret
Charlotte Guichard
Graffitis. Inscrire son nom à Rome, XVIe-XIXe siècle
Paris, Éd. du Seuil, 2014, 175 p.

C’est à une captivante « promenade dans Rome » que nous convie Charlotte Guichard. L’essai original et subtil qu’elle consacre aux graffitis apposés, notamment par des artistes, sur ou autour des fresques antiques et des chefs-d’œuvre de la Renaissance qui ornent la Ville Éternelle est un ouvrage savant, stimulant et généreux. Il s’inscrit dans une perspective critique où l’historien de l’art, confronté à une anthropologie des artefacts, doit se départir de la confortable valorisation du chefd’œuvre pour examiner, avec tout autant d’attention, ces inscriptions minuscules qui dérogent aux usages actuels et requièrent « un regard non plus esthétique mais archéologique ». Or ce changement de regard sur la peinture, qu’a préconisé Daniel Arasse, affecte les œuvres elles-mêmes, qui n’apparaissent plus comme ces « images lisses et belles » qu’exhibent les livres d’art, mais comme « des objets dotés d’une matérialité que les graffitis désignent et rendent visibles » (p. 20).

Bien que ces graffitis soient aujourd’hui peu aisés à percevoir in situ, les noms inscrits à même les murs, ou au plus près des cadres, attestent la présence des peintres qui ont fréquenté, du XVIe au XIXe siècle, ces « hauts lieux » romains qu’il fallait connaître pour devenir, notamment à l’occasion du « Grand Tour », un artiste accompli : « ils [y] inscrivent leur nom, souvent à proximité les uns des autres, contribuant ainsi à l’histoire matérielle et à la valeur symbolique de ces lieux » (p. 17). [End Page 505] Avec autant de curiosité que de rigueur, l’auteure a su mener l’enquête afin de collecter ces traces paradoxales, éliminées de son champ d’étude par l’histoire de l’art jusqu’à récemment et qu’une conception moderne du patrimoine culturel a définitivement mises hors de portée du public contemporain. Elle s’est donnée pour tâche d’en comprendre le sens. Loin du désir – attribué aux lansquenets de Charles Quint qui ravagèrent les murs de Rome en 1527-1528, justifiant le terme de « vandalisme » – de porter atteinte aux œuvres et à leurs commanditaires c’est plutôt d’une expérience de contact, inspirée par l’admiration et l’émulation lorsqu’il émane d’artistes, que témoigne ce geste d’inscrire son nom, souvent suivi d’une date, sur le support même des œuvres de Raphaël, du Dominiquin ou des frères Carrache, voire des fresques antiques de la Domus Aurea ou de la Villa Adriana.

Illustré de vues de détail judicieusement choisies, cet essai est fort bien documenté, sans pour autant étouffer son fragile objet sous la masse des débats érudits. Emblématique est l’emplacement des signatures, tantôt calligraphiées à la sanguine comme une estampille au milieu d’un plafond, tantôt, à l’instar de celle de Nicolas Poussin datée de 1627 dans la chambre d’Héliodore, incisées dans le marbre de la cheminée, dont les graffitis font un véritable monument à la gloire du maître par excellence : Raphaël. L’auteure situe d’emblée le rituel scriptural des jeunes peintres étrangers installés à Rome dans un contexte institutionnel animé de rivalités avec l’académie romaine de Saint-Luc, qui promeut vers 1660 l’« idéal du Beau » théorisé par Giovanni Bellori, mentor du classicisme. Le geste du graffiti, qui accompagne de véritables campagnes académiques de copie, prend dès lors une dimension politique : il s’agit en particulier pour les peintres français, comme l’attestent les archives de l’Académie de France à Rome, de marquer de leur empreinte collective et patriotique le territoire artistique cartographié par Bellori.

En examinant les matériaux employés, l’agencement des supports dans l’espace, la disposition et le style graphique des signatures, C. Guichard parvient à suivre un graffiteur de site...

pdf

Share