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Reviewed by:
  • Werkstätten des Wissens zwischen Renaissance und Aufklärung by Helmut Zedelmaier
  • Claire Gantet
Helmut Zedelmaier
Werkstätten des Wissens zwischen Renaissance und Aufklärung
Tübingen, Mohr Siebeck, 2015, VI-167 p.

Pour une historiographie francophone dominée par une approche socioculturelle du rapport au livre, le beau livre d’Helmut Zedelmaier a un double intérêt. Sans ignorer l’épistémologie historique, il se définit d’abord comme une étude des techniques, des pratiques et des groupes liés au livre entre les XVIe et XVIIIe siècles, qui s’inspire des méthodes de l’histoire des savoirs, de l’histoire de l’érudition et de la philologie. Cette enquête sur les modes d’appropriation du savoir est décrite en huit chapitres, lesquels sondent successivement les techniques de lecture, la quête d’informations au moyen d’index, leur collecte dans des notes de lecture, leur gestion par feuilles, cahiers ou fichiers, leur purge via les registres de censure, leur représentation dans les bibliothèques, leur contrôle à travers le thème de la critique du savant universel, leur démarcation, enfin, par le rejet d’une « période antédiluvienne ». Sous le titre modeste de « L’atelier du savoir entre la Renaissance et les Lumières » se cache ensuite une analyse stimulante des changements liés au développement des humanités numériques, lesquels remettent en question les rapports passés au livre.

Les tenants d’une révolution numérique prêtent en effet au livre un caractère inerte qu’il n’a jamais eu. La lecture, depuis longtemps à voix basse, ne se développait pas dans un espace intellectuel abstrait, mais mettait en jeu paroles et corps. Tout texte savant requérait deux lectures consécutives, la première silencieuse pour rédiger des notes, la seconde à voix haute pour mobiliser les affects aptes à imprégner la mémoire. Au XVIIe siècle, dans le contexte de l’essor de la sociabilité savante, il importait au lettré de savoir intelligemment dissimuler ses faiblesses pour pouvoir produire un effet sur les auditeurs. Lorsqu’au XVIIIe siècle le marché du livre s’élargit considérablement, un souci général de moralisation de l’acte de lecture se manifesta, parallèle à l’affirmation des jugements personnels du public des lecteurs.

Si l’acte de lecture a profondément changé au cours du temps, la quête de moteurs de recherche fondés sur une indexation du savoir ne date pas non plus d’hier. Au XVIe siècle, les grandes encyclopédies – ainsi la Bibliotheca universalis de Conrad Gessner et le Theatrum vitae humanae de Theodor Zwinger, dont H. Zedelmaier reconstitue magistralement l’ordonnancement – renvoyaient toutefois à des livres, et non à des choses comme le font les liens hypertextes. Face à ces systèmes totalisants, les synthèses du XVIIe siècle, en particulier le Polyhistor de Daniel Georg Morhof, conçu en relation aux virtuosi anglais qui fondèrent la Royal Society, avaient un caractère ouvert, attesté par leurs nombreux renvois ainsi que par une réflexion critique sur la prise de note ou l’art des extraits.

H. Zedelmaier poursuit son enquête avec l’étude des modes de la prise de note, des techniques de leur manipulation, ciseaux et colle en mains sur des feuilles cousues en liasses et ballots – de façon secrète ou en vue du bien public –, enfin de leur ordonnancement. C’est à Hambourg que naquit une culture de l’art de l’extrait, matérialisée par la construction d’une armoire de fiches apte à soulager la mémoire individuelle, tout en restant prisonnière des techniques topiques de classement. Le fichier à tiroirs amovibles indéfiniment extensible fut inventé cent ans plus tard par le juriste Johann Jakob Moser pour y intégrer ses propres extraits, combinables à volonté en vue de permettre la pensée par soimême, un mot d’ordre majeur des Lumières – ces fichiers disparaissent de nos jours des bibliothèques pour être remplacés par des postes informatiques. Aux XVIe et XVIIe siècles, on lisait...

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