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Reviewed by:
  • Forms of Individuality and Literacy in the Medieval and Early Modern Periods ed. by Franz-Josef Arlinghaus
  • Harmony Dewez
Franz-Josef Arlinghaus (dir.)
Forms of Individuality and Literacy in the Medieval and Early Modern Periods
Turnhout, Brepols, 2015, 317 p.

Les travaux de Niklas Luhmann, particulièrement ses volumes consacrés aux rapports entre sémantique et structures sociales, posent les fondements de la théorie des systèmes sociaux (systems theory), qui permet de conceptualiser la notion d’individualité et de l’inscrire dans une perspective historique 1. N. Luhmann postule trois types de sociétés – segmentée, stratifiée, fonctionnellement différenciée – qui conditionnent différentes façons pour l’individu de s’intégrer et de se définir. Les sociétés prémodernes, qui suivent les deux premiers types, [End Page 489] sont associées à la notion d’individualité d’inclusion, selon laquelle, dans la continuité de Jacob Burckhardt, un individu est nécessairement défini de façon holistique par son inclusion dans un groupe donné 2. Les sociétés dites modernes, au contraire, sont divisées en soussystèmes fonctionnels et l’individu n’appartient pas à un groupe unique, mais se trouve à l’intersection d’un ensemble de sous-systèmes dans lesquels il remplit des fonctions différentes – c’est l’individualité par exclusion (exclusion individuality). Les partisans de cette réflexion sur l’individualité et sa dimension historique se sont fréquemment concentrés sur une Sattelzeit (période de transition) charnière pour le passage d’une société stratifiée à une société fonctionnellement différenciée, qui se situerait entre 1750 et 1850 et consacrerait l’avènement d’une individualité d’exclusion, marqueur de modernité.

Le groupe réuni à l’initiative de Franz-Josef Arlinghaus s’est emparé d’une tâche fondamentale pour la communauté historique et littéraire : interroger avec rigueur la pertinence et l’utilité du modèle théorique de N. Luhmann en le confrontant à une diversité de sources médiévales et modernes, de manière à examiner la question lancinante d’une « naissance de l’individu », ainsi que sa possible chronologie. Cette entreprise a reposé sur l’élaboration d’un protocole dont les résultats, qui ont été livrés lors d’une conférence à Bielefeld en 2009, sont reproduits dans cet ouvrage. Les onze contributions s’appuient sur un large éventail chronologique de documents et d’œuvres, qui vont du XIIe au XVIIIe siècle, avec un éclairage bienvenu sur les XVe-XVIe siècles : on accède ainsi à une série d’études de cas qui illustrent concrètement les formes variées de l’expression de soi à travers les siècles. Les auteurs présentent des opinions contrastées sur l’utilisation de modèles théoriques par les historiens : pour certains, la théorie des systèmes peut servir d’outil heuristique à condition de ne pas tomber dans la doctrine, tandis que, pour d’autres, contrairement à l’opinion souvent répandue que cette façon d’envisager les choses rompt avec une perspective évolutionniste, elle correspond à une démarche téléologique en contradiction avec les recherches récentes sur la notion d’individu au Moyen Âge.

Ensemble, ces travaux proposent de nouveaux outils théoriques plus souples et plus pertinents. Ils remettent en question la chronologie, notamment autour du XIIe et du XVe siècle, et introduisent une diversité consolidée des modes d’expression de l’individualité qui permet de nuancer l’opposition binaire entre individualité d’inclusion et d’exclusion et entre sociétés « prémodernes » et « modernes ». Les rapports au genre, au corps, à l’origine géographique, à l’apparence, à Dieu, à l’espace, ou à la parenté apparaissent comme autant de vecteurs, conscients ou non, de cette démarcation. Ainsi Mareike Böth reproche-t-elle à la théorie de N. Luhmann de ne pas suffisamment tenir compte des différences entre les genres dans la définition de l’identité, apportant à l’appui de son propos le cas exceptionnel des milliers de lettres écrites par Élisabeth Charlotte, princesse palatine et duchesse d’Orl...

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