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  • Les écritures ordinaires. Sociologie d’un temps de révolution documentaire, entre royaume de France et Empire, 1250-1350 by Paul Bertrand
  • Pierre Chastang
Paul Bertrand
Les écritures ordinaires. Sociologie d’un temps de révolution documentaire, entre royaume de France et Empire, 1250-1350
Paris, Publications de la Sorbonne, 2015, 440 p.

Ce livre revient de façon originale et documentée sur la présence et les usages de l’écrit dans la société médiévale au cours du Moyen Âge central. Il s’inscrit dans une tradition historiographique désormais bien ancrée au sein des études médiévales internationales, celle de l’étude de la culture médiévale de l’écrit, dont le travail de Michael Clanchy, préfacier du volume, constitue l’une des œuvres pionnières 1.

À partir d’un terrain documentaire profondément labouré – celui des écrits produits dans les territoires sis entre le comté d’Artois et la principauté de Liège –, l’auteur propose de réaliser une description circonstanciée des effets matériels et sociaux de la « révolution documentaire » que connaît l’Occident au cours du Moyen Âge central. Il focalise son attention sur un siècle qui s’étend de 1250 à 1350, tout en ménageant de nécessaires ouvertures vers l’amont, le phénomène de transformation décrit trouvant l’origine de son dynamisme « aux XIe-XIIe siècles, certainement, probablement encore plus tôt » (p. 21). Depuis quelques années, la réflexion menée par les médiévistes sur les temps du Moyen Âge, après le reflux du paradigme mutationniste, tend, en ajustant la chronologie proposée par Marc Bloch, à distinguer un second Moyen Âge qui s’ouvre à partir du XIIe siècle et qui doit davantage « être pensé en termes de seuil que de rupture, c’est-à-dire de moments où des processus parfois engagés depuis fort longtemps deviennent irréversibles 2 » (Florian Mazel). [End Page 481]

Comme P. Bertrand le souligne au début de son chapitre conclusif, la « révolution documentaire » se produit sans aucune brutalité, selon « des processus continus » (p. 353). Le qualificatif de révolution, pour inapproprié qu’il puisse paraître, notifie deux caractères importants de la rupture, si on la considère dans le temps long de l’histoire : une accélération inédite des changements culturels, sociaux et politiques, d’une part, et l’irréversibilité de la place qu’occupe l’écrit dans cette dynamique, d’autre part.

Dans le processus de transformation scripturale de l’Occident, la période 1250-1350 est celle de la naissance d’« écritures ordinaires » (Daniel Fabre), qui résultent d’un processus de démocratisation et de laïcisation de l’écrit. La labilité nouvelle de l’écrit est le symptôme et la conséquence de l’appropriation de l’outil par le plus grand nombre, par un ensemble de scripteurs élargi que P. Bertrand propose de constituer en un objet de sociologie historique. C’est en ce sens, davantage que dans la perspective d’une histoire sociale, qu’il convient d’entendre le sous-titre de l’ouvrage.

Le parcours proposé part des écrits euxmêmes, de leur temporalité, des formes de leur transformation par l’écriture, de leur disposition matérielle et textuelle, de l’accroissement de la tabularité du texte au détriment de sa linéarité, pour conduire à la question de la formation de « réseaux documentaires » et de « communautés graphiques », deux concepts forgés par l’auteur à partir de notions plus anciennes proposées par Brian Stock (textual communities), Armando Petrucci (cultura grafica) et Béatrice Fraenkel (chaînes d’écriture). Les analyses sont accompagnées de belles reproductions de documents, pertinemment choisies, ainsi que de nombreux graphiques. Une des grandes réussites de cet essai réside dans la mise en œuvre de changements d’échelle de l’analyse qui passe d’un document singulier à un dossier documentaire, de l’examen précis et érudit d’un objet écrit à l’utilisation d’une méthode sérielle et statistique, en particulier grâce à l...

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