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Reviewed by:
  • Médicaments coloniaux. L’expérience vietnamienne 1905–1940 by Laurence Monnais
  • Claire Fredj
Médicaments coloniaux. L’expérience vietnamienne 1905–1940 Laurence Monnais Paris: Les Indes Savantes, 2014, 359 p., €33

Retracer les pratiques de consommation de médicaments, particulièrement des « médicaments coloniaux », dans le Vietnam colonisé pour mieux comprendre les pratiques de santé à l’œuvre dans un pays de culture médicale forte dominée par la médecine sinovietnamienne entre 1905 (mise en place de l’Assistance médicale aux indigènes) et 1940 (début de l’occupation japonaise), c’est la tâche complexe entreprise par Laurence Monnais. Qu’il soit « colonial » ou « local », le médicament reste difficile à repérer dans les sources archivistiques. C’est donc aussi par le dépouillement de titres nombreux d’une presse en français et en vietnamien que l’auteure restitue l’histoire d’un circuit d’approvisionnement et de distribution de produits pharmaceutiques, ainsi que celle des acteurs de ce marché (professionnels de santé diplômés, thérapeutes traditionnels, clients) dans une enquête en trois temps.

Il s’agit d’abord d’établir la place du médicament dans la politique de santé publique coloniale. Le discours colonial déplore régulièrement la méfiance indigène vis-à-vis de la médecine occidentale et de sa thérapeutique médicamenteuse. Mais jusqu’à quel point et comment les Vietnamiens accèdent-ils aux quelques 1121 produits recensés, très majoritairement importés de France ou fabriqués dans les laboratoires français au Vietnam? L’Assistance médicale indigène (AMI) prévoit la distribution gratuite de médicaments depuis 1907 et des dépôts de médicaments fonctionnent à partir des années 1920. En nombre insuffisant, ils distribuent essentiellement des remèdes officinaux et des drogues simples. Tous les produits jugés toxiques doivent passer par un pharmacien diplômé dont les effectifs sont limités. Le pouvoir de prescription demeure réservé à la petite cohorte des docteurs en médecine, élargi après la guerre aux médecins auxiliaires. Le fonctionnement de la santé publique se fonde d’ailleurs sur la prévention plus que sur les soins individuels, les médicaments étant surtout valorisés s’ils sont préventifs: à part les vaccins, la quinine (la « quinine d’État ») reste le seul médicament à avoir fait l’objet de mesures systématiques de distribution avec des ratés. Pensée comme une « arme de propagande » au service de la mission civilisatrice dont un volet est sanitaire, la diffusion de médicaments, somme toute réduite, révèle la distance entre le discours et la « pratique médicalisatrice » (147). [End Page 587]

Les médicaments coloniaux sont également vendus par un secteur privé dont la deuxième partie de l’ouvrage (« le médicament en privé: ses acteurs et des réseaux ») s’emploie à retracer le fonctionnement. Elle s’intéresse aux pharmaciens employés dans des officines avant tout urbaines dont le nombre ne cesse d’augmenter. Les sources, rares comme souvent lorsqu’il s’agit d’entreprises privées, renseignent surtout sur les grands établissements qui proposent généralement une gamme étendue de services et de produits à grand renfort de publicité, dont l’usage révèle entre autres la férocité de la concurrence entre officines du fait d’un bassin de clientèle limité. Au-delà des batailles autour des contrats d’adjudication, les archives gardent la trace de dénonciations portant sur la pratique illégale de la pharmacie, la vente de spécialités étrangères importées sans autorisation ou de produits toxiques vendus sans ordonnance. La concurrence vient également des milliers d’acteurs traditionnels du médicament (thérapeutes, droguistes, commerçants de la médecine sinovietnamienne) dont les circuits d’approvisionnement débordent les frontières coloniales, ainsi que les réseaux chinois. Des médicaments « modernes » venus de Hong Kong, Shanghai ou du Japon arrivent aussi dans la colonie. Des produits « hybrides » commencent à être vendus dèsledébut du 20e siècle. Ils se caractérisent par l’usage d’une...

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