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  • Les mots du corps. Expérience de la maladie dans les lettres de patients à un médecin du 18e siècle : Samuel Auguste Tissot by Séverine Pilloud
  • Gilles Barroux
Les mots du corps. Expérience de la maladie dans les lettres de patients à un médecin du 18e siècle : Samuel Auguste Tissot
Séverine Pilloud
Lausanne: Éditions BHMS, 2013, 374p., €45

Quels mots pour dire la souffrance ? Quel récit pour mettre en phrases l’expérience de la maladie ? Et comment se faire comprendre auprès du médecin ? De telles interrogations accompagnent une expérience humaine qui fonde la médecine depuis l’Antiquité : celle de l’épreuve des maladies, mais aussi celle de la relation entre le médecin et le malade. En restituant par écrit ce dialogue entre le malade et le médecin, les consultations épistolaires offrent un point de vue inégalé pour étudier ce qui s’échange entre les protagonistes d’une telle relation. Cette tradition épistolaire remonte au 16e siècle et se tarit durant la première moitié du 19e, comme l’évoquent Jole Agrimi et Chiara Crisciani dans leur travail Les consilia médicaux, paru en 1994. L’âge classique et l’époque des Lumières connaissent une montée en puissance de cette correspondance, laissant un impressionnant corpus allant de Fernel à Tissot, en passant par des médecins, pour ne citer que quelques-uns des auteurs les plus significatifs, comme Baillou, Chirac, Le Thieullier ou encore Barthez. Une telle restitution a fait, récemment, l’objet d’un livre de Joël Coste, Les écrits de la souffrance, paru en 2014.

Sur Tissot ont été écrits beaucoup d’ouvrages commentant son œuvre, mais également sa correspondance. On pense évidemment aux travaux irremplaçables de Micheline Louis-Courvoisier, Philippe Rieder et Vincent Barras. L’ouvrage de Séverine Pilloud sait exploiter ce fonds précieux et fécond, mais ne se contente pas de cultiver, telle une ingénieuse compilation de ce qui a déjà été fait, cet héritage par l’apport de nouvelles informations. L’auteure se propose, tout en brossant un panorama de la médecine contemporaine du célèbre médecin suisse et en dressant un portrait exhaustif d’un savant de l’époque, de développer une réflexion [End Page 261] éclairant plusieurs facettes d’une anthropologie médicale, laquelle se trouve généreusement favorisée par le corpus des correspondances entre les malades et leur médecin.

Pour le dire brièvement, l’anthropologie au 18e siècle–terme qui trouve son émergence chez les médecins et philosophes allemands–se propose d’étudier l’homme à travers son physique et son moral, et de déterminer le plus précisément possible comment l’un se combine avec l’autre : de quelle manière, ainsi, les passions se nourrissent des dérangements issus de la machine corporelle ou bien comment cette dernière se détériore plus facilement dès lors qu’un trouble moral s’exprime. La complexité de ces combinaisons se trouve bien souvent au centre des échanges entre médecin et malade, et dans leur creuset interviennent plusieurs temporalités : l’histoire individuelle du ou de la malade, les mœurs et les conventions de l’époque, l’état des connaissances en physiologie et en médecine. Cet entrecroisement est rendu à travers plusieurs chapitres et sections du livre de Séverine Pilloud : Représentations du corps, Offre sanitaire, Trajectoire des patients, Intersubjectivité et intertextualité. . .

Mais l’ouvrage, sans tomber dans le piège d’une restitution éclectique des différents aspects de la médecine avec et autour de Tissot, rend compte également de l’état de la corporation des médecins, des relations avec les apothicaires et de la dénonciation récurrente des charlatans. Il éclaire également sur cette tension qui caractérise la médecine du siècle, entre héritage hippocratico-galénique (Le modèle « humoral »), thèses mécanistes (Le corps « machine » : mécanique et circulation hydraulique) et représentations plus contemporaines de la période étudiée (Le modèle...

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