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  • Enjeux et défis de stratégies d’influence obliques des comportements : le cas de la législation indirecte et des nudges *
  • Malik Bozzo-Rey (bio)

Quelle que soit la beauté de la stratégie, il faut de temps en temps regarder les résultats.

Sir Winston Churchill

Nous nous proposons ici d’étudier les « stratégies obliques »1 que peuvent utiliser les gouvernements pour influencer le comportement des individus qui leur sont soumis. Nous nous appuierons sur deux théorisations de ces stratégies : la législation indirecte de Jeremy Bentham qui en est peut-être la première tentative de systématisation théorique et les nudges dont l’engouement des décideurs publics (et privés) n’a d’égal que le scepticisme d’une partie de la communauté universitaire. Dans la continuité de l’article d’Anne Brunon-Ernst qui a bien établi les liens entre ces deux approches pourtant éloignées de deux siècles, nous pouvons identifier des éléments communs : argument de l’efficacité, fondement dans une analyse psychologique des individus qui fait ressortir des failles de jugement ou de raisonnement ainsi que les ressorts des actions, réflexion sur le contexte et les circonstances de la prise de décision2 ; par ailleurs, elles visent toutes deux à améliorer le bonheur ou le bien-être des individus concernés. [End Page 123]

Nous comprendrons la législation indirecte comme toute tentative du législateur d’influencer le comportement des individus, sans avoir directement recours à la punition juridique comme moyen premier si ces mêmes individus ne se conforment pas au souhait du législateur. Un nudge quant à lui vise à orienter le comportement des individus de manière prévisible en modifiant le contexte de la prise de décision afin d’accroître leur bien-être3 tout en ne leur interdisant aucune option et sans engendrer un coût significatif. Peut-être faudrait-il également ajouter que ces deux théories marquent le mouvement qui vise à substituer le concept de norme à celui de loi.

Il ne s’agit pas ici de caractériser et d’identifier si ces stratégies obliques sont une atteinte à l’autonomie et à la liberté4 ni de savoir si les nudges appartiennent à telle ou telle forme de paternalisme5 pas plus que nous ne nous interrogerons sur leur appartenance ou leur concurrence au droit6. Il s’agit au contraire et bel et bien de s’interroger sur ce qui sert de fondement et de justification aux stratégies obliques afin d’évaluer la pertinence et l’utilité des critiques. Nous articulerons notre réflexion autour de trois axes : 1. La conception sous-jacente de la nature humaine. Dans quelle mesure une conception adéquate de la psychologie humaine est-elle nécessaire pour assurer l’efficacité de ces stratégies ? 2. La question de la temporalité. Pour que des politiques publiques soient efficaces, il faut être en mesure d’en identifier les impacts et leur persistance dans le temps. Quel est donc le rapport à la temporalité de ces stratégies obliques ? 3. La transparence et le secret. La défense de la transparence (qui prend parfois la forme de la publicité) comme norme de la vie politique démocratique implique, voire présuppose, l’exclusion du secret relégué alors dans un espace condamné et condamnable relevant forcément de la manipulation. Il s’agit ici d’une des critiques récurrentes contre les stratégies obliques. Mais cette stratégie porte-t-elle réellement ses fruits ? Rendre une stratégie oblique transparente implique-t-il qu’elle perde son efficacité, ce qui était pourtant l’argument fort avancé par ses défenseurs ? Si tel est bien le cas, comment continuer à les justifier ? Nous voyons bien ici l’enjeu stratégique : il est à la fois nécessaire pour leurs défenseurs de ne pas réduire les stratégies obliques au risque de voir disparaître l’argument de l’efficacité mais il leur faut également construire et s’assurer d’une certaine forme de légitimité politique. [End Page 124]

Fondements et justifications : une approche psychologique de la nature humaine

Les partisans...

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