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  • Bocar Cissé. Instituteur des sables, témoin du Mali au XXe siècle by Bernard Salvaing and Albakaye O. Kounta
  • Étienne Smith
Bernard SALVAING et Albakaye O. KOUNTA. – Bocar Cissé. Instituteur des sables, témoin du Mali au XXe siècle, Brinon-sur-Sauldre, Éditions Grandvaux, 2014, 477 pages.

Dans ses mémoires dictés à l’historien Bernard Salvaing, l’instituteur malien Bocar Cissé (1919-2004) offre un témoignage vivant et à hauteur d’homme sur l’Afrique occidentale française (AOF) puis le Mali des années 1930 à 1975. Suivant le fil de ses riches archives personnelles (notes, devoirs d’écolier, journal de guerre, journaux, brochures, pièces de théâtre…), Cissé retrace son parcours mouvementé, de son enfance sur les bords du fleuve Niger à l’École normale d’instituteurs William-Ponty à Dakar, sa vie de tirailleur sénégalais pendant la Seconde Guerre mondiale, puis sa carrière d’instituteur, de pédagogue et de chercheur.

Né près de Tombouctou de parents cultivateurs qui le destinent à l’école coranique et aux travaux champêtres, mais envoyé à l’école française par un chef de canton vindicatif, Bocar Cissé fait partie de ces « enfants de la contrainte » scolarisé presque par hasard14. Alors qu’il était au départ peu intéressé par l’école, sa rencontre avec Mamby Sidibé (1891-1977), instituteur emblématique de la première génération [End Page 188] d’instituteurs africains d’AOF qui l’inscrit de force au concours de l’École William-Ponty, école fédérale destinée à l’élite enseignante et administrative de l’AOF, change le cours de son destin.

Admis à Ponty (1938-1941), Bocar Cissé fréquente des condisciples devenus célèbres comme Assane Seck (futur homme politique sénégalais), Douta Seck (homme de théâtre sénégalais) ou Djibo Bakary (futur leader politique nigérien). Il dresse un bilan nuancé de cet enseignement colonial d’élite, qui combinait un fort éthos assimilationniste et une adaptation relative de l’enseignement, symbolisée par le manuel de Moussa et Gigla, réplique du Tour de la France par deux enfants adaptée à l’AOF, que Cissé évoque non sans nostalgie. De ses trois années à Ponty, Bocar Cissé retient surtout les activités culturelles (théâtre, danse) et sportives, l’hébertisme imposé sous Vichy, ou le scoutisme (Éclaireurs de France), apprécié par les élèves issu des zones rurales pour ses ressemblances avec l’initiation traditionnelle. L’école encourage le patriotisme aofien de cette nouvelle élite lettrée, mais aussi, à travers le théâtre et les travaux ethnographiques, le patriotisme des différents territoires et terroirs de l’AOF.

C’est à travers le théâtre à Ponty que Bocar Cissé prend conscience des limites à la liberté d’expression dans l’espace scolaire et public colonial. La pièce de théâtre qu’il dirige mettant en scène la conquête du Niger, notamment la manifestation de joie organisée à l’occasion de la mort du capitaine Cazemajou par les habitants de Zinder, mécontente fortement les autorités militaires qui font sanctionner l’école. Une autre pièce écrite par Cissé sur l’entrevue entre Samori et le capitaine Péroz, qui attribue le beau rôle à Samori, est quant à elle refusée par la direction de l’école avant même d’être jouée.

L’un des chapitres les plus intéressants relate son expérience de sous-officier dans un régiment de tirailleurs sénégalais (1943-1944), affecté au Maroc puis participant en 1944 au débarquement en Corse, à l’île d’Elbe et en Provence. Plus que les combats, peu nombreux, c’est le théâtre qui constitue le fil rouge de son parcours militaire. Au Maroc, les autorités encouragent cette activité au sein de la troupe dans l’espoir de l’instrumentaliser. Mais les représentations sont finalement interdites et la troupe dissoute par l’autorité militaire : les instituteurs-tirailleurs, attachés aux textes de ces pièces rédigées à Ponty et tirées de l’histoire locale des différents terroirs de l’AOF, avaient refusé de...

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