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  • ÉditorialRelire les décolonisations d’Afrique francophone au prisme du genre
  • Emmanuelle Bouilly* and Ophélie Rillon**

L’étude des luttes sociales et politiques en Afrique a connu un regain d’intérêt ces dernières années1. Ce dynamisme tient autant à l’ampleur des mouvements sociaux qui se sont déroulés récemment sur le continent – dont les « printemps arabes2 » ont constitué la face la plus visible – qu’à un renouvellement des terrains et des objets de la sociologie de l’action collective, jusqu’alors davantage centrée sur les pays du Nord. Les travaux actuels sur l’Afrique témoignent cependant d’un intérêt inégal3 pour les mobilisations de femmes et/ou le genre comme « catégorie utile d’analyse4 » alors même que les études sur le sexe du militantisme se sont multipliées durant la décennie 19905. C’est aux historiennes et [End Page 3] historiens qui ne recourent pas au « kit conceptuel » des théories des mouvements sociaux, que l’on doit les premières études sur les mobilisations ou l’engagement militant de femmes africaines. L’accent était alors mis sur l’activité politique des colonisées, ainsi que sur leur rôle dans les résistances à la colonisation et les luttes d’indépendance. Depuis quelque temps cependant, les travaux historiques centrés sur le politique semblent s’essouffler au profit d’une histoire des femmes et du genre plus attentive aux dynamiques sociales et culturelles6. Le renouvellement de l’histoire coloniale et impériale s’est en quelque sorte accompagné d’un certain abandon de l’étude des mouvements sociaux et de l’action protestataire, relégués au rang des thématiques obsolètes7. Deux recherches inédites sont néanmoins venues avec bonheur ouvrir de nouvelles pistes pour écrire l’histoire des luttes sociales et politiques en Afrique, sans pour autant intégrer à la réflexion une perspective de genre8.

Les contributions réunies dans ce numéro9 souhaitent, à rebours de ces multiples décalages, promouvoir un dialogue interdisciplinaire et un décloisonnement des différentes bibliothèques – études africaines, études de genre, histoire (coloniale, impériale ou sociale du politique), sociologie de l’action collective10. En prenant pour point d’entrée commun l’engagement de femmes dans les colonies françaises, les auteurs de ce numéro entendent relire les décolonisations au prisme du genre11. Il ne [End Page 4] faudrait pas y voir la volonté de féminiser l’histoire des décolonisations en y ajoutant des actrices oubliées, et encore moins celle de « colorer » ou d’« exotiser » une sociologie du genre ou de l’action collective en voie de routinisation. Comme le souligne Dominique Godineau à propos de la Révolution française : « Il ne suffit pas de dire que les femmes y ont ou n’y ont pas participé. Il ne suffit pas non plus de mettre en évidence le poids du facteur masculin-féminin. Il faut questionner l’histoire pour tenter de dégager l’articulation entre les rapports des sexes et l’événement12 ». Avec ce dossier, il s’agit de saisir combien les processus de décolonisation – mobilisations sociopolitiques, guerres, réformes de l’Empire – ont été en même temps des moments de réaffirmation, de recomposition et de vacillement des rapports de genre. Dès lors, l’enjeu de ce numéro est double. Il s’agit d’une part de comprendre la dialectique des rapports sociaux de sexe en insistant sur la manière dont les assignations de genre structurent les mobilisations, qu’elles soient exclusivement féminines ou mixtes. D’autre part, ce numéro montre que le genre, conçu comme un rapport social de pouvoir fondé sur la différence perçue entre les sexes, est produit dans la période singulière de renégociation des relations entre métropole et colonies. En optant pour une temporalité large qui s’étend des années 1940 aux années 1970, il ne s’agit ni de résumer les décolonisations à « l’événement indépendance...

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