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  • Au combat. Réflexions sur les hommes à la guerre by Jesse Glenn Gray
  • Anne Simonin
Jesse Glenn Gray Au combat. Réflexions sur les hommes à la guerre trad. par S. Duran, Paris, Tallandier, [1959] 2012.

Publié pour la première fois en 1959 sous le titre The Warriors: Reflections on Men in Battle, le livre de Jesse Glenn Gray était passé inaperçu. Lors de sa réimpression en 1967, une préface élogieuse d’Hannah Arendt mettait en valeur la singularité du témoignage donné à lire: « Cet auto-apprentissage du concret, cette inébranlable fidélité au réel, aussi difficile à atteindre pour le philosophe […] que pour l’homme du commun », conférant au livre le statut de classique dans la littérature de guerre de langue américaine. L’ouvrage demeura néanmoins inconnu du public français, une absence que vient réparer cette traduction.

Philosophe de formation, J. Gray allait passer toute la durée de la Seconde Guerre mondiale dans l’armée américaine. Rarement philosophie et guerre auront eu un destin si étroitement lié puisque le courrier qui, un 8 mai 1941, lui transmettait son titre de docteur en philosophie de l’université de Columbia délivrait aussi son ordre d’incorporation dans une division d’infanterie basée en Afrique du Nord.

Pendant quatre ans, J. Gray ne devait pas cesser de faire la guerre: d’abord comme simple soldat, puis comme agent du contreespionnage militaire à Washington, enfin sur le théâtre d’opérations européen, en France, en Italie et en Allemagne. Le 28 octobre 1945, il était, selon ses propres termes, « honorablement libéré de ses fonctions », avec le grade de sous-lieutenant. À jamais marqué par une expérience qui devait se révéler pour lui décisive, il s’empressait pourtant de l’oublier et de la taire. Revenant sur ce silence volontaire dans le premier chapitre de son livre, « Se souvenir de la guerre et oublier », J. Gray se décrit comme « un réfugié à l’intérieur de lui-même » se soumettant, quatorze ans après les faits, à cette drôle d’expérience: revenir sur l’épisode central d’une vie qui, après tout, fut la sienne.

Alors qu’il enseigne au Colorado College et est devenu l’un des meilleurs connaisseurs de la philosophie allemande – de Georg Wilhelm Friedrich Hegel, auquel il a consacré sa thèse, mais aussi de Karl Jaspers et, surtout, de Martin Heidegger–, J. Gray relit les notes prises au front et certaines lettres par lui envoyées à des proches (« Lettre à un ami, adressée du Sud de la France, le 28 août 1944 », p. 105). Ce matériau de première main est entrelacé à sa réflexion philosophique sur la guerre. [End Page 307]

Rien n’est dit concernant ces sources primaires, parfois citées comme provenant d’un journal de guerre. Ce journal est-il, ou non, accessible à des tiers dans son intégralité? Et l’on se prend à imaginer, un demi-siècle après la parution du livre en anglais, ce qu’eût été une édition critique en français comparant un soldat du nom de J. Gray à ce qu’a retenu de lui, et inévitablement mis en scène, le philosophe J. Gray. Mais il ne sera ici question que du texte publié et traduit. Et c’est déjà beaucoup.

Les historiens du contemporain auraient intérêt à lire ce témoignage pour l’originalité de certains faits rapportés, certes, mais surtout pour la bonne distance, le « juste éclairage » donné par le point de vue non pas amoral (J. Gray est catholique et la question de la foi est omniprésente) mais immoral sur la guerre. Il ne s’agit pas de juger mais de comprendre ce qui est devenu le plus étranger à soi: les réactions des hommes (y compris soi-même) dans la situation de violence extrême induite par la guerre.

L’importance de ce livre réside dans son ton. Articulé en six chapitres, abordant chacun une question majeure (l’oubli, la fascination de la guerre, l’amour, la mort...

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