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Reviewed by:
  • Rwanda, de la guerre au génocide. Les politiques criminelles au Rwanda, 1990-1994 by André Guichaoua
  • Jean-Pierre Chrétien and Hélène Dumas
André Guichaoua Rwanda, de la guerre au génocide. Les politiques criminelles au Rwanda, 1990-1994 Paris, La Découverte, 2010, 622 p.

Encore trop souvent prise sous les feux de la controverse médiatique, l’histoire du génocide des Tutsi rwandais peine à alimenter de véritables débats scientifiques. De ce point de vue, l’ouvrage publié par le sociologue André Guichaoua offre l’occasion d’entamer une discussion sur les interprétations de cet événement majeur de la fin du xxe siècle. L’auteur entend démontrer que le génocide ne procède pas d’une « planification » minutieuse, mais d’une conjonction entre, d’une part, des « choix » et des « stratégies » opérés par les extrémistes hutu et, d’autre part, la reprise des hostilités par le Front patriotique rwandais (Fpr) après l’attentat contre le président Juvénal Habyarimana le 6 avril 1994. L’on s’interroge ici sur la contribution de ces arguments à l’historiographie de ce génocide, en excluant [End Page 301] délibérément les aspects polémiques du livre, en particulier l’imputation de la responsabilité de l’attentat du 6 avril au Fpr. Il s’agit plutôt de proposer un retour critique sur un ouvrage souvent salué comme une somme sur l’histoire du génocide.

L’analyse proposée repose sur des catégories juridiques et enferme un processus historique dans des concepts forgés dans le contexte d’une procédure pénale. Le récit d’A. Guichaoua est nourri par son expérience de « témoin-expert » auprès du Bureau du procureur du Tribunal pénal international pour le Rwanda (Tpir). Ce statut particulier lui a permis d’accéder à une documentation considérable, mais qu’il exploite à partir de questionnements relevant moins des sciences sociales que d’une démarche inquisitoriale. Une posture équivoque qu’il semble assumer, soulignant que « ce travail […] relève à la fois de l’‘enquête judiciaire’ et de la ‘recherche académique’ » (p. 590). Le texte est marqué par la confusion entre ces deux registres, l’empreinte judiciaire se révélant toutefois dominante. Peut-être cette marque singulière explique l’absence d’appareil de notes et de bibliographie, la forme même de l’ouvrage échappant de ce point de vue aux canons universitaires.

Depuis ce poste d’observation, un récit judiciaire du passé est déployé, en particulier à la lumière du concept d’« entente en vue de commettre un génocide ». Ainsi l’auteur reprend-il à son compte une partie des conclusions du Tpir dans le procès du colonel Théoneste Bagosora, selon lesquelles les éléments de preuve présentés n’ont pas permis d’établir la participation de ce dernier à une conspiration organisant l’extermination des Tutsi. Pour A. Guichaoua, le jugement signerait la preuve de l’absence de préparation du génocide. Les juges avaient pourtant fait preuve d’une plus grande réserve en distinguant nettement les registres juridique et historien (affaire ICTR-98-41-T, Le Procureur c. Théoneste Bagosora et consorts, Jugement portant condamnation, § 2112).

Ce postulat conduit l’auteur à proposer une nouvelle interprétation, élaborée à partir de sources issues des instances militaires ou gouvernementales, présentées à l’occasion des procès. La focalisation sur ce type de sources débouche sur une histoire surplombante, déconnectée de la réalité des massacres, occultant en particulier la dimension populaire du génocide, facteur majeur de son effroyable efficacité. Il ne s’agit pas de disqualifier une exploration du processus décisionnel: elle est d’ailleurs éclairante sur bien des points, notamment les parties consacrées aux arrangements constitutionnels pour assurer une façade de légitimité au Gouvernement intérimaire rwandais (Gir), et à l’agitation politicienne du Gir à partir du 12 avril 1994. À la condition toutefois que les conséquences de ces décisions ne...

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