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Reviewed by:
  • Liban. La guerre et la mémoire by Aïda Kanafani-Zahar
  • Dima de Clerck
Aïda Kanafani-Zahar Liban. La guerre et la mémoire Rennes, PUR, 2011, 259 p.

Sous ce titre ambitieux, Aïda Kanafani-Zahar revisite les différents thèmes qu’elle a abordés ces dernières années dans ses travaux. L’ouvrage, qui traite de la mémoire de la guerre du Liban (1975-1990), s’organise autour d’un dispositif méthodologique en trois parties allant de la description du rôle du politique dans la sortie de guerre aux réactions de la société civile, pour enfin plonger dans les méandres des récits mémoriels d’une dizaine de villageois druzes et chrétiens, interviewés entre 2000 et 2004.

Le point d’entrée en matière, l’adage populaire « tindhakar, mâ tin‘âd » (« qu’elle [la guerre] soit rappelée, non recommencée »), rappelle que les Libanais n’ont pas oublié la guerre et qu’ils sont prêts à l’évoquer à condition qu’elle ne soit plus répétée. En revanche, il existe bien un oubli officiel, dont le processus politique de construction est balisé par l’auteure lorsqu’elle dresse un bilan de la sortie de guerre. Hormis la question des déplacés libanais qui ont dû quitter leurs localités d’origine à la suite des actes de violence, les accords de paix de Taëf conclus en 1989 occultent les victimes de la guerre et leurs souffrances, et ne comprennent aucune disposition relative aux disparus. Les crimes commis pendant la guerre, à la notable exception des assassinats d’hommes politiques ou de religieux, font l’objet en 1991 d’une loi d’amnistie générale censée faciliter le retour à la paix civile. Cette amnistie sélective permet aux anciens chefs de guerre, ainsi absous, d’accéder au pouvoir. A. Kanafani-Zahar décrit comment les modalités de sortie de guerre ont affermi le rôle du chef politique (za‘îm) comme intermédiaire entre l’État et le groupe qu’il dirige, mais aussi comment elles ont consolidé le système socioconfessionnel libanais, dans lequel la communauté religieuse est devenue un acteur politique primordial, mené par le za‘îm, et l’État, le lieu de l’équilibre confessionnel.

A. Kanafani-Zahar énumère les tentatives pour encourager le retour des déplacés dans leurs villages d’origine, notamment la création en 1992 d’un ministère et d’une Caisse centrale des déplacés. Elle restitue le processus administratif de la « réconciliation » imposée aux seules localités druzo-chrétiennes du Mont-Liban, dont l’objectif est de neutraliser la vengeance et de pacifier la communauté pour rendre possible le retour des chrétiens. L’indemnisation matérielle des familles ne découle pas de la reconnaissance du tort ou du statut de victime par celui qui a porté préjudice1. L’auteure dresse un bilan vague des victimes et des destructions, amalgamant pertes druzes et chrétiennes, à partir des chiffres officiels du ministère qui – nous le savons à présent – sont fictifs.

Assimilable à un pacte politique, la réconciliation ne se contracte qu’en contrepartie du renoncement des victimes à l’individualisation des responsabilités. Son caractère d’emblée communautaire et « égalisé » – la communauté (les Druzes et les chrétiens) est au centre du dispositif – nie à la fois la victime et l’agresseur et entrave toute velléité de vengeance, mais aussi toute possibilité de pardon et de reconnaissance des torts. Privées du droit juridique d’obtenir réparation, les victimes cultivent déceptions, rancœurs et frustrations. De fait, la réconciliation est une solution sociale d’urgence, plus utilitaire que réparatrice, qui relève d’une volonté officielle d’effacer les stigmates de la guerre2. [End Page 297]

La deuxième partie de l’ouvrage traite d’une culture civile de la mémoire née justement de ce contexte d’oubli officiel. Dans leur quête de vérité et de justice, les comités de familles de disparus, soutenus par...

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