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Reviewed by:
  • La Première Guerre mondiale ed. by Jay Winter
  • Clémentine Vidal-Naquet
Jay Winter (dir.) La Première Guerre mondiale, vol. 3, Annette Becker (coord.), Sociétés Paris, Fayard, 2014, 861 p. et 32 p. de pl.

Après les « Combats » et les « États », ce troisième volume de la somme consacrée par Jay Winter à la Première Guerre mondiale dans une perspective transnationale se penche sur les « Sociétés », autrement dit sur les « fronts intérieurs » ou les « fronts domestiques », expressions dérivées du « home front » anglais. En interrogeant « les institutions et pratiques échappant à l’État » (p. 19), les vingt-cinq contributeurs explorent, en particulier, les familles, les communautés et les associations de personnes, c’est-à-dire les actions d’individus, isolés ou rassemblés, tous confrontés à une guerre d’une ampleur sans précédent. À l’heure du centenaire du premier conflit mondial, l’histoire proposée ici est bien écrite au présent: l’œuvre collective est celle des historiens de la « quatrième génération », marqués dans leur formation et dans leur pratique par les échanges à l’échelle internationale. Une « génération transnationale » (p. 13) – comme l’appelle J. Winter – qui écrit une histoire à son image.

Là est, d’ailleurs, la proposition force de l’ouvrage: adopter une perspective globale, sortir des cadres nationaux pour redonner au conflit toute son ampleur, temporelle et spatiale. La dimension transnationale permet, tout d’abord, de rendre compte de phénomènes compréhensibles seulement à une échelle globale – la grippe espagnole traitée par Anne Rasmussen en est l’exemple le plus net – ou qui gagnent à être appréhendés audelà de l’échelle nationale. Ainsi, dans son article sur les minorités, Panikos Panayi démontre que dans les États-nations libéraux aussi bien que dans l’autocratie russe ou les empires allemand, austro-hongrois ou ottoman, la Grande Guerre « prêt[e] une normalité accrue à la persécution et à la marginalisation » et, dans certains cas, « légalis[e] les massacres » (p. 241-242). La perspective globale décentre ainsi l’histoire de la Grande Guerre, très focalisée sur l’Europe occidentale, en donnant toute sa place aux victimes civiles des empires austro-hongrois, russe et ottoman, longtemps considérées comme des « peuples lointains ‘dont nous ne sav[ions] rien’ » (p. 206) et qui n’occupent encore aujourd’hui qu’une place marginale dans l’historiographie du conflit.

L’histoire croisée offre, ensuite, la possibilité de repérer convergences et divergences. Bien que transnationale, en effet, cette histoire de la Première Guerre mondiale ne pré-tend pas gommer les particularismes nationaux ni passer sous silence les histoires familiales et individuelles. Aucun des auteurs ne nie d’ailleurs la difficulté intrinsèque de l’exercice, qui consiste à « résumer les expériences diverses des hommes et des femmes » (p. 121), et ce, en dépassant le seul cadre des nations. La variabilité des échelles d’analyse permet, justement, de surmonter efficacement cette difficulté. Ainsi Leo van Bergen explique-t-il que la longue durée du conflit et les blessures et les maladies qui l’accompagnèrent auront permis de repenser le statut du corps médical dans l’effort de guerre et de redessiner le paysage sanitaire européen, mais il souligne aussi les spécificités nationales concernant l’organisation des premiers secours ou les pratiques médicales. Tout en rappelant la « béance affective et sociale » liée à l’absence des pères, Manon Pignot présente les deux expériences du deuil et de l’occupation comme étant les « plus marquante[s] et [les] plus clivante[s] au sein de la génération juvénile » (p. 55 et 60).

Les sources dites de l’écriture de soi – correspondances, journaux intimes et témoignages – traversent l’ensemble des articles, permettant de jongler sans cesse entre les échelles individuelles et collectives, nationales et transnationales, donnant de la chair à cette histoire globale de la Première Guerre mondiale. L’ouvrage permet de prendre la mesure de la complexité du monde social en guerre, puisqu’il propose une histoire plurielle...

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