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  • Conjurer la guerre. Violence et pouvoir à Houaïlou (Nouvelle-Calédonie) by Michel Naepels
  • Alban Bensa
Michel Naepels Conjurer la guerre. Violence et pouvoir à Houaïlou (Nouvelle-Calédonie) Paris, Éd. de l’Ehess, 2013, 288 p.

Résolument ancré dans une perspective pragmatiste1, ce livre explore une documentation ethnographique et des sources d’archives concernant plus d’un siècle et demi d’histoire des populations de la région de Houaïlou, sur la côte est de la Nouvelle-Calédonie. Le fil rouge de cette investigation est celui de la violence et du conflit, pensés comme les leviers d’un univers segmentaire toujours en mouvement et d’un appareil d’État conquérant.

La temporalité des situations rapportées est principalement celle de la colonisation française et de ses avatars (1853-années 2000). [End Page 254] Il est clairement signifié d’entrée par Michel Naepels que tout ce qui a pu être observé des pratiques et discours kanak s’inscrit dans cette période. Ce refus de la reconstitution d’un passé précolonial ouvre la voie à un mode d’exposition des documents neuf qui stimule la réflexion. L’auteur y affirme le souci constant de respecter la temporalité effective des actions, de « mesurer la fiabilité des documents dont nous disposons » (p. 69), de « prouver2 » ce qui est avancé ou, à défaut, de laisser ouvertes plusieurs hypothèses. Il entend ainsi démêler les stratégies propres au travail politique engagé par toutes les parties qui s’affrontent à Houaïlou (indigènes, colons, administrateurs, « chefs », missionnaires, commerçants et aventuriers européens) pour perpétuer leurs intérêts ou les moduler au gré des situations.

Une série d’événements induits par la politique guerrière de la France à l’égard des gens de Wilo (future Houaïlou) donne le ton. La disparition de chercheurs d’or venus en 1856 jusqu’en Nouvelle-Calédonie via San Francisco et Sydney, et la répression aveugle qui s’ensuivit, servent de fil conducteur à une enquête fouillée traversant plusieurs échelles temporelles et spatiales afin de « saisir comment Houaïlou se définit par des flux à la fois politiques et commerciaux, qu’ils soient océaniens ou liés au commerce européen de santal, d’or et de nickel » (p. 69).

L’auteur interroge ensuite l’expérience kanak intime de la guerre, en abordant les « procédures de purification et de propitiation » (p. 71) qui accompagnaient la préparation des combats. La communication avec les ancêtres, le recours aux « pierres de guerre » ou le respect d’interdits contraignants rendent possibles les gestes qui tueront l’adversaire. Ces considérations ponctuelles extraites d’entretiens réalisés dans les années 1990 font écho à un texte écrit en 1918 par le principal inspirateur kanak de l’œuvre de Maurice Leenhardt, Bwêêyöuu Ëdrijiyi. Et l’auteur de démontrer que ce récit renvoie en fait à une guerre survenue en 1867.

Pour M. Naepels, les chefferies sont de purs produits de la conquête coloniale française. Leur seule spécificité tient aux façons dont les chefs administratifs kanak exercent les pouvoirs qui leur sont ainsi délégués par la France. L’auteur rompt ici clairement avec tous les travaux anthropologiques antérieurs qui font une large place aux conceptions kanak ou océaniennes de la chefferie. Il entend montrer que les chefs et aussi leurs sujets auraient dès les premiers contacts chaussé les bottes du dispositif politique tout colonial de « la chefferie kanak » telle qu’imaginée par les Blancs, et ce, pour mater militairement leurs adversaires avec l’appui de la nouvelle autorité. L’examen par M. Naepels de plusieurs dossiers historiques montre en effet que « la guerre coloniale était bien aussi une guerre kanak » (p. 70).

Celle-ci prend des allures nouvelles avec les « mobilisations au sortir de l’indigénat ». M. Naepels décrit l’épisode d’une crise collective de sorcellerie dans les années 1960 et rapporte cette terrible affaire aux « transformations massives qui se jouent dans la gouvernementalité coloniale au...

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