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  • Des ombres à l’aube. Un massacre d’Apaches et la violence de l’histoire by Karl Jacoby
  • Emmanuel Désveaux
Karl Jacoby Des ombres à l’aube. Un massacre d’Apaches et la violence de l’histoire trad. par F. Cotton, Toulouse, Éd. Anacharsis, [2008] 2013, 599 p.

Voici la traduction française d’un ouvrage qui s’inscrit dans la tradition inaugurée il y a une quarantaine d’années par le fameux livre de Dee Brown, Bury My Heart at Wounded Knee1, bien que Karl Jacoby propose un dispositif narratif plus sophistiqué. Sur la scène américaine, il s’agit de réécrire l’histoire de la conquête de l’Ouest non pas comme une épopée glorieuse, mais comme une aventure faite de violence et de spoliations, dont les Indiens sont les premières victimes. Ici, et c’est en cela que le dispositif intellectuel s’avère plus subtil que la simple repentance rétrospective, les Indiens ne sont pas d’emblée exonérés de toute implication au déchaînement de la violence. Ils sont désormais des acteurs à part entière d’une histoire tragique.

Un massacre commis à l’aube du 30 avril 1871 au canyon Aravaipa, en Arizona, sert d’épine dorsale à l’ouvrage. Plus de cent cinquante Apaches – en majorité des femmes et des enfants – sont tués par une milice composée de Mexicains, nouveaux citoyens étatsuniens depuis l’annexion de l’Arizona, d’Américains « classiques » et d’Indiens O’odham (plus connus dans la littérature anthropologique classique sous le nom de Pima-Papago). Il convenait de mener une expédition punitive à la suite de nombreux vols de bétail et d’escarmouches, souvent mortelles, que l’on imputait aux Apaches. Le livre est construit sur le principe d’un avant et d’un après l’événement, dans lequel les points de vue des quatre groupes impliqués – Indiens O’odham, Mexicains, Anglo-Américains, Apaches – sont restitués et juxtaposés.

Les déterminants culturels et la place dans l’histoire des différents protagonistes sont exposés en un long préambule à l’événement. L’auteur n’élude pas les tensions entre Mexicains et Américains d’une part, entre Pima-Papago et Apaches de l’autre. Mais il souligne également les contacts entre différentes communautés, notamment à travers les prises de prisonniers, la mise en servitude et le phénomène de l’adoption. Le cœur du livre, exactement comme dans un bon vieux Western hollywoodien, est ce moment où, alors qu’ils ont des intérêts divergents, tous se liguent pour s’attaquer aux Apaches, empêcheurs de coloniser en rond (ce que n’étaient pas les Pima-Papago, du moins dans un premier temps).

L’après concerne donc la mémoire de l’événement au sein des quatre groupes impliqués. Le talent de K. Jacoby est précisément d’avoir su allier une perspective objective, presque froide, sur les événements, les person-nalités et les rapports de force qui convergent dans cet événement particulier et une narration empathique de sa « gestion » par les différentes mémoires en épousant la tonalité des études culturelles. Cette dernière partie est rédigée avec sensibilité et, avec le recul historique, elle ne risque pas de fâcher quiconque aujourd’hui.

Alors, ne s’agirait-il jamais que d’un nouveau livre dédié à la repentance? Pas exactement, car l’auteur a aussi une ambition méthodologique, sinon théorique: celle de dresser un inventaire le plus exhaustif possible de la somme des micro-événements qui concourent ou découlent de l’événement clé, à savoir le massacre. Des événements qui, dans cette vision des choses, sont imputables à des acteurs et à leurs motivations avouées ou secrètes. En définitive, l’histoire de la colonisation est avant tout celle d’individus animés par leurs intérêts, lesquels sont globalement les mêmes de part et d’autre de la barrière culturelle, à savoir la domination et le désir d’appropriation...

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