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  • Vitruve et Les Naturales Quaestiones:La Théorie de la Matière dans le de Architectura
  • Mireille Courrént

Le de Architectura présente une caractéristique innovante par rapport aux traités écrits avant lui par des architectes, grecs ou latins: Vitruve considère que le texte est un espace d’explications et de réflexions qui vise un public de lecteurs, c’est-à-dire qu’il reste dans le domaine de l’échange intellectuel, et réserve la description des gestes technique à un public de professionnels, dans l’espace du concret. Ainsi, à l’aspect purement pratique de l’architecture, la fabrica, il associe une démarche théorisante, la ratiocinatio, dont la fonction est d’expliquer et de justifier les choix et les procédés techniques de l’architecte en les intégrant dans un système général de lecture et d’analyse des phénomènes naturels (1.1.1). Vitruve organise ce système de lecture en empruntant des lois aux grands courants de pensée que ses lecteurs, qui n’étaient pas des architectes, mais des hommes cultivés, étaient censés connaître. Sont convoqués ainsi, autour de chaque geste technique, tous les savoirs en relation avec l’architecture, la physique, la géométrie, la musique, la médecine, ou l’astronomie.

C’est la méthode et la fonction de cette théorisation que nous aborderons ici à travers l’exemple de la matière. La réflexion sur les corps physiques, qui traverse tout le traité, est en effet au fondement de la théorisation de l’architecture par Vitruve. Mais la question est très complexe, pour deux raisons majeures, d’abord parce que le traité fait appel à plusieurs théories physiques qui coexistaient dans l’antiquité, que Vitruve connaissait souvent indirectement—par exemple, la théorie d’Aristote sur les modifications de la matière, qu’il n’a pas lue directement, mais dont on retrouve des traces dans ses démonstrations—et qu’il a associées pour créer sa propre [End Page 251] théorie; ensuite, parce que la physique est liée à tous les autres aspects de la théorie de l’architecture, telles la mécanique, l’esthétique, ou l’éthique, on ne saurait la développer en quelques pages. Il ne sera donc possible ici que d’en exposer quelques idées générales (Courrént 1999 et 2011).

Une grande partie du traité de Vitruve est consacrée à la matière, sous diverses formes, dont certaines sont attendues, mais d’autres plus originales. Des procédés d’explication rigoureusement identiques y sont en effet appliqués aux moyens—matériaux de construction en bois, pierre, ou terre—et aux buts de l’architecture: eau à canaliser, objets ou aliments à conserver et êtres vivants (animaux de la ferme et, bien sûr, corps humain) à protéger des agressions climatiques ou des maladies. Plus encore, les qualités de toute cette matière physique s’intègrent dans le champ plus vaste de ce que nous appellerions l’environnement: le sol, le vent, le soleil, et la pluie sont composés des mêmes principes.

La particularité du texte vitruvien est de ramener la diversité des catégories et des usages architecturaux de la matière à une unité de lecture et d’interprétation. Le champ d’application de l’architecture y est présenté comme un ensemble de phénomènes dont il s’agit d’expliquer, par le biais des grandes théories philosophiques, les mécanismes généraux de fonctionnement en ayant systématiquement recours aux mêmes principes, qui ne sont pas propres à une approche architecturale, c’est-à-dire technique, du monde, mais s’inscrivent dans une démarche holistique: l’une des fonctions du de Architectura est de montrer que l’architecture pense le monde comme toutes les sciences issues de la philosophie, et que ce traité apporte même un savoir de nature scientifique à ses lecteurs.

Dès le début du traité, Vitruve revendique donc la nécessité d’une culture philosophique pour comprendre les causes des phénomènes auxquels...

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