In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

Reviewed by:
  • Le « moment 68 » et la réinvention de l’Acadie by Joel Belliveau
  • Jean-Philippe Warren
Joel Belliveau, Le « moment 68 » et la réinvention de l’Acadie, Ottawa : Presses de l’Université d’Ottawa, 2014.

L’histoire des revendications des étudiants acadiens à la fin des années 1960 avait été principalement contée jusqu’ici, d’une part, en termes nationalistes et, d’autre part, en insistant sur la rupture qu’elle consommait avec la période qui l’avait précédée. Joel Belliveau vient corriger le tir en proposant une lecture qui se nourrit du contexte international et s’appuie sur le dépouillement de documents négligés, dont les très riches archives du cinéaste Pierre Perreault. Les jeunes qui se rebellaient autour du campus de Moncton de l’Université de Moncton participaient en effet d’une mouvance mondiale qui embrasait au même moment le Mexique, le Japon, l’Italie, l’Allemagne et, bien entendu, les États-Unis et la France. Il est donc un peu court de tout ramener au contexte local ou, au mieux, d’imputer principalement le bouillonnement politique à l’influence de quelques Français de passage à titre de coopérants et de la Révolution québécoise.

Joel Belliveau entend convaincre le lecteur de la grande similitude des périodisations à l’échelle nord-américaine, ce qui témoignerait de la force de la « culture jeune » pendant les années de boom économique de l’après-guerre. La synchronie du développement des divers mouvements étudiants ne me semble [End Page 280] personnellement pas aussi claire que pour Joel Belliveau, dans la mesure où l’incroyable hétérogénéité des centaines de campus disséminés sur l’immensité du territoire américain ne permet pas de tisser un récit aussi univoque que celui qu’il présente dans son livre (même chose pour le Québec où les mouvements étudiants sont tous ravalés à ce qui se déroulait dans les départements de sciences sociales de l’Université de Montréal), mais je lui concède que quelque chose se passait qui mérite d’être analysé à partir d’une perspective transnationale. Autre innovation, il tend à minorer la dimension nationale du combat étudiant, préférant insistant sur d’autres aspects peu fouillés dans l’étude des minorités nationales, lesquelles ne semblent trop souvent intéressantes que du point de vue de leur différence culturelle et/ou linguistique. Enfin, Belliveau remonte jusqu’en 1957 pour saisir l’évolution des revendications des étudiants de l’Université Saint-Joseph de Memramcook (devenu, en 1963, le campus de Moncton de l’Université de Moncton), ce qui est un choix judicieux afin de saisir la généalogie des idées et des pratiques dans le temps long.

Ce que Belliveau découvre, c’est que les mouvements étudiants de Moncton se divisaient en trois périodes : la période formative, la période libérale et la période radicale. Il aurait aussi bien pu associer ces trois périodes avec trois champs disciplinaires plus ou moins dominants au sein des institutions d’enseignement supérieur : les techniciens et les philosophes, les professions libérales (dont, au premier chef, la médecine et le droit) et les sciences sociales. Lors de la grande grève de 1969, personne n’est surpris d’apprendre que le foyer de la contestation fut le Département de sociologie, une discipline qui entretient des frontières floues avec la politique et a très peu de légitimité scientifique, ce qui accentue chez ses praticiens son côté révolutionnaire afin d’asseoir leur « magistère ». L’ouvrage de Belliveau retrace de manière convaincante le paradoxe de ces étudiants qui, après avoir critiqué vertement le mouvement nationaliste dans la première moitié des années 1960, en vinrent à en reprendre certains thèmes en les apprêtant à la sauce gauchiste.

L’ouvrage de Belliveau entend replacer l’Acadie sur la carte politique de l’Amérique du Nord. Tout en faisant l’impasse sur des épisodes importants qui secouèrent...

pdf

Share