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Reviewed by:
  • D’herbe, de terre et de sang. La Cerdagne du xive au xixe siècle by Marc Conesa
  • Gérard Béaur
Marc Conesa D’herbe, de terre et de sang. La Cerdagne du xive au xixe siècle Perpignan, Presses universitaires de Perpignan, 2012, 560 p.

Le livre de Marc Conesa reprend dans le temps long, sur environ cinq siècles, la question des sociétés montagnardes si âprement débattue et déjà si intensément explorée par une abondante historiographie. L’auteur le présente comme une « tentative d’histoire totale » et revendique à juste titre de n’avoir conduit ni une « monographie régionale », ni une monographie [End Page 998] « villageoise », ou « familiale ». Il a raison, son ambition est autre. En se portant sur un espace certes restreint (quelque 500 km2) et en suivant les destinées de la petite ville de Puigcerda et des campagnes qui l’environnent, il ne se contente pas d’explorer une série de questions devenues incontournables en histoire rurale. Il entreprend de retrouver une dynamique qui explique et rende compte des transformations d’un système économique, d’un modèle social et d’une structure agraire. Il rompt ainsi avec l’image trop souvent accolée à ces zones de montagne, fréquemment taxées d’immobilisme et généralement perçues comme des mondes figés. Bien au contraire, dans ce livre, l’auteur restitue aux sociétés le mouvement dont elles sont souvent privées et prend le risque de remettre en cause des positions considérées comme acquises au moins depuis Frédéric Le Play1.

Au départ de ce livre, il y a la volonté de nier l’influence décisive de la frontière dans la détermination des changements qui ont marqué le destin des communautés de Cerdagne. Il y a aussi la recherche d’une explication au déclin de Puigcerda, prospère et puissante à la fin du Moyen Âge, puis progressivement marginalisée à partir du xviie siècle. Son déclassement irrésistible peut être considéré comme le fil conducteur d’un argumentaire qui refuse d’en attribuer la responsabilité à la coupure introduite en 1659, mais davantage à une montée en puissance des communautés rurales, capables de se défaire des liens de subordination qui les attachaient à la ville. Il y a enfin la relative surprise que représente une croissance démographique rapide des campagnes dans un système d’héritage présenté comme férocement inégalitaire, facteur d’exclusion pour les non-héritiers et donc garant de la stabilité des exploitations et du niveau de population.

C’est en déroulant le film des développements qui s’imposent au cours du temps que l’on comprend mieux que ce qui paraissait établi de toute éternité, à savoir le système de reproduction sociale, s’inscrit en fait comme une phase dans un long processus heurté et logique en même temps. M. Conesa n’hésite pas à se situer en porte-à-faux par rapport aux idées dominantes sur la pérennité des « maisons » pyrénéennes et sur le mode de transmission de l’exploitation dans les sociétés paysannes. Pour cela, il pointe le projecteur sur ce qui importe dans le système socioéconomique cerdan et, par extension, dans le système agraire montagnard : les vacants.

Ces terres qui occupent de vastes espaces constituent un enjeu central pour les « grandes maisons » et vital pour les petites. Exploitées de manière temporaire, elles ne sont pas seulement un moyen de moduler les surfaces mises en culture et de réguler les volumes de production, comme l’avait montré Annie Antoine dans un tout autre cadre, pour l’Ouest, en insistant sur la confusion entre le collectif et le privé2. Elles permettent aux pauvres de survivre tant que leur accès est garanti pour les ayants droit en fonction de la seule résidence, tout en excluant les forains. Cette facilité favorise l’établissement de nouvelles cellules domestiques qui peuvent développer, d’une part...

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