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  • Le monde rural du Maghreb central (xive-xve siècles). Réalités sociales et constructions juridiques d’après les by Élise Voguet
  • Mehdi Ghouirgate
Élise Voguet Le monde rural du Maghreb central (xive-xve siècles). Réalités sociales et constructions juridiques d’après les Nawāzil Māzūna Paris, Publications de la Sorbonne, 2014, 511 p.

Longtemps l’histoire rurale est restée le parent pauvre des études portant sur le monde musulman médiéval. Il est symptomatique que rien ne puisse être comparé à cet égard à la somme de Georges Duby, L’économie rurale et la vie des campagnes dans l’Occident médiéval1. Le fait que ce terrain ait été laissé en déshérence est largement imputable à l’absence de sources adéquates. Pour pallier cette carence, Robert Brunschvig fut l’un des premiers à recourir aux textes juridiques malikites avant que d’autres ne lui emboîtent le pas, comme Jacques Berque et Vincent Lagardère2. C’est dans cette lignée que s’inscrit Élise Voguet. À travers l’étude des sources juridiques, celle-ci s’intéresse non seulement au monde rural, mais au monde rural d’un espace très mal connu pour l’époque médiévale : le Maghreb central.

À cette fin, l’auteure a établi, traduit et étudié des extraits d’une source juridique, al-Durar al-maknūna fī nawāzil Māzūna, compilé par Abū Zakariyyā’ Yaḥ yā b. Mūsā b. ‘Īsā al-Maghīlī al-Māzūnī (m. 883/1478), juriste et cadi de la petite ville de Mazouna, située à l’ouest d’Alger dans la vallée du Chélif. Le titre même de l’ouvrage indique que ce texte est largement consacré à cette ville et, à travers elle, à une région spécifique. Il subsiste aujourd’hui plus d’une dizaine de copies du texte des Nawāzil Māzūna conservées en Tunisie, en Algérie et au Maroc.

En procédant par touches « impressionnistes », elle appréhende des sujets aussi divers que les poursuites et les litiges, les arrérages, le partage, les spoliations et les abus, les crimes et les reconnaissances de paternité, les terres de louage, les baux partiaires ou encore les contrats de plantation. Sur un total de plus de 700 cas d’espèce que compte cet ouvrage, l’auteure en a sélectionné 82, à partir de quatre copies du manuscrit : la copie de la Bibliothèque nationale d’Algérie, les deux copies de la Bibliothèque générale de Rabat et celle de la Bibliothèque de Tunis. Elle en a établi le texte en arabe et [End Page 997] les a également traduits en français, permettant ainsi au lecteur de se familiariser avec cette source documentaire fondamentale. Grâce à leur éclectisme, ces textes rendent compte des représentations véhiculées par le discours juridique en milieu non citadin.

Dans une seconde partie, toujours à partir du même corpus, É. Voguet étudie trois grands axes thématiques intitulés « Territoires, habitats et peuplements », « Habitat et modes de vie » et « Les groupes sociaux : solidarités tribales et communauté musulmane ». Au-delà des oppositions binaires traditionnelles – monde sédentaire/monde nomade, agriculture/pastoralisme, espace soumis/résistance des tribus rebelles, berbères/arabes –, elle brosse un tableau nuancé d’un monde complexe où interagissent différents types d’acteurs : ruraux, riches et pauvres, simples croyants et marabouts, juges, administrateurs et soldats, bédouins (A‘rāb) et habitants de gros bourgs.

Ce n’est pas le moindre des mérites d’É. Voguet que d’avoir réinséré dans le temps long les structures idéologiques, sociales et familiales de la ruralité telle qu’elles apparaissent dans ce recueil de cas d’espèces. Ce faisant, elle met en évidence les modalités de la lente et longue pénétration de la jurisprudence musulmane au Maghreb central. On peut rattacher ce développement du mali-kisme en milieu rural à l’établissement d’un État centralisé à Tlemcen. En effet les juristes tendent à enserrer l’ensemble du corps social et à ordonner...

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