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  • Les usages de la servitude. Seigneurs et paysans dans le royaume de Bourgogne (vie-xve siècle) by Nicolas Carrier
  • Laurent Feller
Nicolas Carrier Les usages de la servitude. Seigneurs et paysans dans le royaume de Bourgogne (vie-xve siècle) Paris, Pups, 2012, 391 p.

L’ouvrage est issu du mémoire d’habilitation de l’auteur et constitue une véritable thèse en défense et en illustration, en quelque manière, des positions défendues par Dominique Barthélemy qui en a été le garant. Il s’agit d’un pari érudit tout à fait remarquable, voire audacieux, et qui a été tenu : étudier sur la longue durée, mais sur un espace limité, une forme sociale à travers toute la documentation disponible. En l’occurrence, Nicolas Carrier a pris à bras-le-corps l’épineuse et vaste question de la servitude durant les mille années que dure le Moyen Âge et l’a déclinée sous ses diverses appellations (esclavage, servage, dépendance). L’espace concerné est celui du royaume de Bourgogne et des ensembles politiques qui lui ont succédé et qui recouvrent tout de même tout le Sud-Est de l’actuel territoire français. [End Page 985]

La question est, on le sait, posée depuis que, dans un article d’une extrême profondeur et d’une grande rigueur doctrinale, Pierre Bonnassie a proposé en 1985 une lecture de ce qu’a été la servitude à l’époque médiévale1. Au cœur de son propos se trouvait la transition entre mode de production antique, fondé sur l’esclavage, et mode de production féodal, fondé sur le servage, deux institutions sociales permettant, selon des modalités différentes, la mise au travail de ceux qui y étaient soumis. La contre-attaque menée par D. Barthélemy à partir de 1992 porta en grande partie sur la question du servage : celui-ci soulignait que ce n’était pas une institution neuve au xie siècle mais qu’il reprenait des formes de domination et d’oppression présentes à des degrés divers dans la société depuis au moins le viiie siècle2. N. Carrier s’inscrit dans la droite ligne de ces travaux et montre avec brio qu’il n’y a qu’une et une seule institution sociale, la servitude, et que celle-ci se transforme, passant de l’esclavage hérité de la période antique à d’autres formes moins intenses mais qui ont toutes comme conséquence de placer les individus qui la subissent sous la domination d’un seigneur. En d’autres termes, ce qui est en cause dans l’institution servile, ce n’est pas tant le travail que la domination sociale et l’institution de la seigneurie.

Dès le vie siècle, les esclaves ont cessé d’être des choses. Ils ont une responsabilité juridique et sont distingués du pur et simple bétail. Ce sont des humains dans la propriété d’autrui et non pas des objets. D’une part, même privés de liberté, les servi ou les mancipia se marient et fondent une famille : le mariage a un effet émancipateur en ceci qu’il affecte la reproduction des esclaves. Les enfants ont un statut et relèvent de l’autorité de leurs géniteurs. D’autre part, la possibilité d’être chasés assure aux non-libres, dès le viiie siècle, une forme de stabilité et la garantie que l’on ne peut pas tout faire de leur personne et notamment les dissocier de la terre qu’ils mettent en valeur. Malgré tout, N. Carrier reconnaît que, sur les domaines des temps mérovingiens, l’esclavage de peine a continué d’exister à côté de formes atténuées de servitude liées à l’établissement matrimonial et à la jouissance d’une tenure. Cependant, dès lors que les latifundia sont allotis et que les revenus seigneuriaux sont assis non sur l’exploitation en faire-valoir direct, mais sur l’extraction d’une rente prélevée sur l’exploitation paysanne, tous...

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