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  • Sexualité et travail du sexe
  • Florence Tamagne
Mathieu TRACHMAN. – Le travail pornographique. Enquête sur la production de fantasmes, Paris, La Découverte, 2013, 292 pages. « Genre et sexualité ».

Aux États-Unis, la pornographie a émergé comme un objet d’étude à part entière en 1989 avec le livre de Linda Williams, Hard Core. Power, Pleasure and the « Frenzy of the Visible », à la croisée des cultural studies et des gender studies, dans un contexte marqué par les feminist sex wars, opposant les féministes radicales, qui dénonçaient la pornographie comme symbole des violences faites aux femmes, aux féministes pro-sexe, qui plaidaient pour une réappropriation positive de leur corps et de leur sexualité par les femmes. En France, les études sur la pornographie, développées depuis une trentaine d’années, ont connu une accélération dans les années 2000, attestant de la reconnaissance nouvelle d’un objet longtemps pensé comme tabou, et de l’urgence de mettre en discussion un phénomène désormais partie prenante de la culture de masse, mais qui n’en reste pas moins controversé.

Alors que la pornographie demeure un objet cinématographique stigmatisé, que les acteurs et actrices de films X continuent de souffrir, en dépit de tentatives de légitimation (starification, hots d’or, emploi par le cinéma d’auteur d’acteurs ayant fait carrière dans la pornographie…), du discrédit généralement associé aux travailleurs du sexe, et que les réalisateurs de ces films font figure au mieux de « cinéastes ratés », Mathieu Trachman, pour son travail de thèse, a choisi d’entendre la parole des pornographes : envisager la pornographie comme un « métier », dont la fonction est de « produire des supports masturbatoires efficaces », ce qui implique « une organisation, des savoirs et des savoir-faire, mais aussi une exploitation du corps et de la sexualité des actrices et des acteurs ». C’est tout l’intérêt de son étude que de montrer qu’il est possible d’aborder la pornographie comme toute autre production culturelle, sans jugement de valeur ou dérive sensationnaliste, ici par le biais éprouvé de la sociologie du travail.

L’enquête de Mathieu Trachman est d’abord un cas d’école en ce qui concerne la méthode sociologique, tant l’industrie pornographique est méconnue. Le Centre national de la cinématographie ne produit aucune statistique sur le sujet et les conditions de production, les budgets, les activités des pornographes demeurent largement opaques. Les recherches de terrain sont rendues difficiles par les préjugés associés au travail du sexe, alors que la « question du sexe et de la sexualité de l’enquêteur » représente un enjeu. S’il refuse la mise à distance condescendante, Mathieu Trachman parvient à préserver une « position d’extériorité » vis-à-vis de son objet, en tant que gay qui travaille sur une pornographie hétérosexuelle destinée avant tout à un public masculin. Les trop rares extraits de son journal de terrain, passionnant, rendent compte de la complexité de sa situation, alors qu’il mène des entretiens, observe des tournages, participe à l’élaboration d’un scénario ou se retrouve promu éclairagiste lors d’un shooting.

Si l’approche est sociologique, Mathieu Trachman prend soin de replacer ses observations dans un cadre historique, celui des productions obscènes, régulièrement victimes de la censure. Alors que, jusqu’au XVIIIe siècle, la pornographie se voulait aussi porteuse, comme l’a bien montré Lynn Hunt, d’une dimension politique et critique, elle s’inscrit avant tout, à partir du XIXe siècle, dans une logique capitaliste de commercialisation de la sexualité. Dans le cas français, la création de la catégorie du « X », en 1975, constitua un tournant majeur, en assignant les [End Page 156] films pornographiques, lourdement taxés, à un circuit de diffusion spécialisé, ce qui aboutit à la ghettoïsation de cette production. En même temps, le X devint une « marque de fabrique », avec ses conventions propres ciblant un public spécifique, jusqu’à son recentrement presque exclusif, à partir des années 1980, vers...

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