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  • Dépasser l’alternative amateurs/professionnels Programme pour une histoire sociale des sportifs au travail
  • Sébastien Fleuriel and Manuel Schotté

« Les élites sportives n’ont jusqu’à présent en France pas d’histoire1 ». Si le constat, opéré par une chercheuse au début des années 2000, est sans doute aujourd’hui excessif, force est de reconnaître que la question des sportifs d’excellence est délaissée dans l’historiographie française, surtout si on les considère sous l’angle de leurs conditions d’emploi. Quand la thématique est présente, elle n’est, la plupart du temps, abordée que de façon secondaire par les travaux qui y font référence, ces derniers s’avérant orientés par d’autres questionnements. Si l’on exclut l’article fondateur d’Alfred Wahl dans Le Mouvement social en 19862, rares sont les analyses qui s’intéressent de façon centrale à cet aspect3. Le cas du football, le sport qui concentre le plus de travaux scientifiques, est de ce point de vue très significatif. Ainsi, quand Patrick Fridenson et Marion Fontaine s’intéressent aux joueurs professionnels de Sochaux et Lens, c’est en les reliant à la question de l’encadrement des classes ouvrières4. De même, c’est dans un travail centré sur le développement du football à Paris que Julien Sorez « rencontre » les joueurs d’élite5. Quant à Fabien [End Page 3] Archambault, il s’intéresse à ce sport en Italie dans la perspective d’une histoire sociale des affrontements entre communistes et catholiques pour le « contrôle du ballon6 ». Enfin, les études de Paul Dietschy relèvent principalement d’une histoire politique du jeu et de son organisation7. Si ces travaux fournissent, malgré la diversité de leurs objets de recherche, des éléments relatifs aux conditions d’exercice des sportifs d’excellence, la connaissance en demeure lacunaire8. Le présent dossier se propose de contribuer à combler ce vide en ouvrant le chantier d’une histoire sociale des sportifs au travail en Europe9.

Dépasser l’alternative amateurs/professionnels

De façon classique, les conditions d’emploi des sportifs sont souvent abordées par le biais des catégories indigènes de professionnels et d’amateurs. Dans ce cadre, il s’agit tantôt de s’intéresser aux luttes qui opposent les partisans de chacune de ces modalités, pensées comme fondamentalement différentes, tantôt de rendre compte du passage de l’une à l’autre, notamment en utilisant le terme de « professionnalisation ». Dans les deux cas, les catégories d’amateurs et de professionnels sont réifiées, l’enjeu étant soit d’étudier les oppositions entre deux modèles présentés comme irréductibles, soit d’analyser comment une discipline sportive change de nature en cessant d’être amateur pour devenir professionnelle10.

Plusieurs raisons amènent à douter du bien-fondé du recours à ces catégories et à l’opposition binaire qui les sous-tend. La première critique est [End Page 4] liée à leur caractère plurivoque. Les catégories d’amateurs et de professionnels peuvent en effet aussi bien renvoyer à un niveau de compétence qu’à la présence ou non d’une rémunération11, à un statut social12 qu’à un mode d’engagement dans l’action (« agir en professionnel »). Dans la mesure où elles ne renvoient pas seulement à la condition d’emploi, il est particulièrement problématique de prétendre décrire cette dernière à leur aune : la polysémie ne peut, en la matière, qu’être synonyme d’approximation. En l’absence de définition stable de ce qu’est un professionnel et de ce qu’est un amateur, la caractérisation de la situation d’un sportif à travers ces catégories a toutes les chances de s’avérer imprécise et, ce faisant, insuffisante.

Deuxième problème, qui découle du précédent : les catégories d’amateurs et de professionnels présentent un très faible niveau d’objectivation de la condition du sportif. Chacune d’elle renvoie à une définition minimale...

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