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  • Les Aléas de la néologie au XVIIIe siècle
  • Jean-Claude Bonnet (bio)

On connaît la Querelle des Anciens et des Modernes et la Querelle d’Homère, comme la Querelle des Bouffons au milieu du XVIIIe siècle (1752–1753), mais on a oublié le long débat sur la néologie qui agita le milieu académique. Cette Querelle sans fin se poursuivit tout au long du XVIIIe siècle et vint se clore momentanément, en 1801, par la publication de la Néologie de Louis Sébastien Mercier. Dans l’Histoire de la langue française, Alexis François conclut que cet ouvrage est non seulement «le véritable couronnement de l’entreprise néologique» du siècle précédent mais «la porte par laquelle la néologie rationnelle du dix-huitième siècle débouche sur l’imagination littéraire du dix-neuvième1». Une grande part de l’activité néologique au XVIIIe siècle tient au progrès des sciences et de la philosophie. L’Encyclopédie a enrichi la langue d’une foule de termes appropriés à tous les domaines du savoir. Cela va de pair avec la néologie des écrivains qu’on ne saurait oublier parce qu’elle se manifesta avec éclat tout au long du siècle.

Une «Querelle» de cent ans

Les puristes du Grand siècle avaient prétendu fixer la langue mais les grands auteurs se montrèrent par la suite délibérément néologues. Comme il en va dans les périodes d’innovation on dénonça bientôt leur [End Page 783] «jargon» (Desfontaines en 1726), celui, par exemple, de Fontenelle ou de Marivaux accusés de corrompre la langue. On ne voulut voir d’abord dans la néologie que les ravages desséchants du bel esprit et les excentricités des petits maîtres. C’est pourquoi Beauzée s’en tient, dans l’Encyclopédie, à une définition négative du «néologue» présenté comme «celui qui affecte un langage nouveau, des expressions bizarres, des tons recherchés, des figures extraordinaires». Mais il apparut très tôt qu’on ne pouvait indéfiniment confondre l’abus du néologisme et l’indispensable néologie. L’Académie devint de moins en moins sourcilleuse quant à la néologie et c’est en son sein que la défaite des puristes se confirma progressivement au cours du siècle à mesure que s’y consolidait l’emprise du clan des Philosophes.

Le vent avait tourné dès le milieu du siècle. Le Dictionnaire de l’Académie de 1762 prévient que «le néologisme est un abus», mais reconnaît que «la néologie est un art». On doit cette évolution aux secrétaires perpétuels successifs de l’Académie: Duclos, d’Alembert et surtout Marmontel qui fit, en 1785, l’éloge d’une «langue conquérante» que les écrivains se devaient d’enrichir. Selon lui, la langue a perdu son énergie dans ce qu’il stigmatise comme «l’esprit de société inspiré» de la Cour. De là l’abandon d’une «infinité d’expressions naïves et franches». Mercier note en ce sens dans le Tableau de Paris: «Les gens du monde ont fait dans la langue une langue nouvelle: on n’a pas tort de dire qu’elle est élégante, mais inexpressive et sans couleur2». Seuls les écrivains sont véritablement en mesure de réagir contre cette déperdition, en restituant aux mots des couleurs et du ton. C’est à quoi se sont employés plus particulièrement Diderot et Mercier.

Diderot et la langue

Dans le Prospectus de l’Encyclopédie, Diderot prévient que la variété des matières produira nécessairement une grande variété des styles. Il est inutile de rechercher une quelconque unité de ton, parce que, dit-il, «chaque chose a son coloris, et ce serait confondre les genres que de les réduire à une certaine uniformité». Ces notions de variété, de ton et de coloris, montrent qu’au-delà d’un...

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