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  • Écrire le temps: les tableaux urbains de Louis Sébastien Mercier by Geneviève Boucher
  • Joël Castonguay-Bélanger
Écrire le temps: les tableaux urbains de Louis Sébastien Mercier. Par Geneviève Boucher. (Espace littéraire.) Montréal: Presses universitaires de Montréal, 2014. 268 pp.

Deux cent ans après sa mort, les écrits de Louis Sébastien Mercier (1740–1814) constituent toujours un témoignage essentiel de cette période trouble qui s’étend des dernières décennies de l’Ancien Régime jusqu’à l’orée du dix-neuvième siècle. Au sein d’une œuvre aussi prolifique que singulière, le diptyque formé par son Tableau de Paris et son Nouveau Paris suscite un intérêt particulier en raison du point de vue unique que ces deux ouvrages, publiés de part et d’autre de la Révolution, offrent sur la vie et les mœurs des habitants de la capitale. L’étude que leur consacre Geneviève Boucher embrasse bien plus large que ne le laisse supposer son sous-titre: l’imaginaire temporel, bien plus que la représentation de la vie urbaine, guide la réflexion qu’elle nous propose. À travers les scènes pittoresques que Mercier prétend croquer sur le vif se révèle en effet une préoccupation marquée pour l’histoire, celle dont témoignent les livres, les monuments et les pierres, mais aussi celle qui s’écrit sous ses yeux, dans les gestes des contemporains qui oublient parfois qu’ils sont les acteurs d’une histoire qui s’écrira demain. Partagé entre une tentation rétrospective qui l’amène à chercher les traces d’un Paris disparu et l’espoir d’un progrès qui le pousse à se projeter dans l’avenir, Mercier peint des tableaux qui parlent souvent de l’effacement qui guette ce que voudrait fixer sa plume. Avec la coupure instaurée par la Révolution, cette sensibilité face au caractère transitoire de toute chose s’accroit et les chapitres du Nouveau Paris sont empreints d’un questionnement encore plus profond sur le sens à donner aux événements du présent. Boucher montre bien que l’esthétique des tableaux urbains de Mercier est en cela au diapason d’une époque à la fois hantée par la crainte de la disparition et fascinée par le sublime qui se dégage des bâtiments en ruines. À rebours des nombreux travaux qui ne voient dans l’œuvre panoramique de Mercier qu’une réserve de descriptions et d’anecdotes susceptibles d’être isolées sans pertes, ce livre propose une lecture cohérente et originale qui montre que la réflexion sur le temps en constitue l’une des structures maitresses. Sa division en trois parties correspondant aux différents types de relation temporelle — passé, futur, présent — a le mérite de la clarté, même si elle montre parfois ses limites lorsqu’il s’agit d’aborder les chapitres où Mercier se garde bien d’adopter une distinction aussi tranchée. Si l’analyse demeure d’un bout à l’autre convaincante, on peut s’étonner que la place accordée à L’An 2440 n’ait pas été plus grande. Après tout, ce roman d’anticipation fait de la représentation d’un avenir possible son prétexte narratif et présente des similarités formelles évidentes avec le Tableau de Paris. Bien que l’œuvre de Mercier soit de mieux en mieux connue, elle parait encore à certains difficile à classer en vertu de son impardonnable tare d’être née au carrefour de deux siècles, de deux esthétiques. Nous sommes redevables au présent ouvrage de nous convaincre que cette situation particulière de Mercier dans l’histoire littéraire et politique de la France, loin d’être un défaut, fournit peut-être une des clés de lecture les plus significatives de son œuvre.

Joël Castonguay-Bélanger
University of British Columbia
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