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  • Silentium perpetuum et absolutio ab impetitione:L’expression de la sentence définitive et de la requête irrecevable dans la procédure canonique des XIIe et XIIIe siècles*
  • Franck Roumy

Analysant le rôle du parlement de Paris dans la construction d’un État de droit au Moyen Âge central, Jean Hilaire, dans un livre paru en 2011, a mis au jour une technique procédurale jusqu’alors méconnue.1 Le procédé apparaît au milieu du XIIIe siècle, tandis que le Parlement, se détachant progressivement de la ‘curia regis’, devient la plus haute juridiction d’appel du royaume de France.2 À la demande d’une des parties en procès ou, parfois, de sa propre initiative, la cour ‘impose silence’ aux plaideurs. La formule ‘silentium imponere’ ou ‘perpetuum silentium imponere’ se rencontre ainsi une centaine de fois dans les sentences du Parlement, entre le milieu du XIIIe siècle et le début du XIVe; la seconde des deux expressions devient plus fréquente à la fin de cette période, sous le règne de Philippe le Bel.3 Examinant minutieusement les décisions dans lesquelles ces formulations étaient employées, Jean Hilaire a pu relever que celles-ci étaient utilisées dans deux hypothèses: soit pour exprimer l’irrecevabilité d’une action intentée devant la cour; soit pour proclamer la force de la chose jugée prohibant tout recours sur la même cause.4 Dans les deux cas, le ‘silentium impositum’ produisait alors le même effet, interdisant aux litigants d’agir en justice sur l’objet déjà présenté au tribunal. En imposant le silence, les juges formulaient aussi une injonction à l’égard des [End Page 125] procéduriers. Ceux qui abusaient des voies de recours offertes par le droit pour multiplier les actions en justice ou retarder le règlement des litiges se voyaient écartés du prétoire.

Au XIIIe siècle, le personnel du parlement de Paris était presque exclusivement clérical. Jean Hilaire a donc émis l’hypothèse que le système consistant à imposer silence à des justiciables pouvait avoir été emprunté par la cour royale à la procédure canonique. L’historien a effectivement relevé l’expression ‘imponere silentium’ un siècle avant que les juges séculiers français n’en fassent usage, dans une décrétale de Clément III.5 Le même auteur a aussi noté l’emploi de la formule, dans le Speculum juris de Guillaume Durand († 1296).6 Ce court passage, qui constitue l’un des très rares textes doctrinaux du Moyen Âge central abordant la question du silence imposé, fournit de précieux renseignements sur cet outil processuel. ‘Si B. a exprimé plusieurs demandes dans son libelle’, explique le Spéculateur, ‘et qu’il a obtenu satisfaction pour l’une mais non pour les autres, le juge doit alors ajouter: “absolvant judiciairement ledit C. des autres demandes dudit B., il convient d’imposer le silence perpétuel sur celles-ci dudit B”.’7 Le juge auquel était présenté simultanément plusieurs requêtes était en effet tenu de répondre à chacune d’entre elles. S’il accédait à l’une mais rejetait les autres, il devait donc expressément interdire d’intenter de nouvelles actions sur ces dernières. La règle formulée par le commentateur visait, entre autres, à éviter le déni de justice. Pour asseoir ses dires, Guillaume Durand citait les décrétales Raynutius et Raynaldus relatives à la conservation d’une ‘pars legitima’ au profit de l’héritier légal, en cas de substitution [End Page 126] fideicommissaire.8 Dans la première affaire, le pape Innocent III avait en effet confirmé la sentence d’un cardinal auditeur restituant à une héritière substituée un fideicommis, mais rejetant, en revanche, la demande des ayants droits de la première bénéficiaire du fideicommis, qui prétendaient recueillir du chef de celle-ci une part successorale excédant la quarte par ailleurs due à la substituée.9 Dans la seconde, le pape avait encore une fois confirmé le jugement d’un...

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