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Reviewed by:
  • Âmes scrupuleuses, vies d’angoisse, tristes obsédés. Obsessions et contrainte intérieure de l’Antiquité à Freud by Pierre-Henri Castel
  • Nathalie Heinich
Pierre-Henri Castel Âmes scrupuleuses, vies d’angoisse, tristes obsédés. Obsessions et contrainte intérieure de l’Antiquité à Freud Paris, Ithaque, 2011, 456 p.

L’ouvrage du philosophe, psychanalyste et historien des sciences Pierre-Henri Castel s’ouvre par un constat glaçant et néanmoins [End Page 803] crédible : « Ce livre a au moins quelque chose pour lui : il n’y en aura plus beaucoup dans son genre. L’horizon se rapproche en effet à grands pas où plus personne ne pourra prétendre embrasser d’un regard les phases successives de l’élaboration de sa propre culture, ni même, on peut le craindre, quelques-unes seulement réduites à un simple synopsis. […] Un érudit du xviiie siècle parvenait en quelques dizaines d’années d’étude acharnée à une représentation relativement stable de l’histoire de la civilisation jusqu’à lui. Au xixe siècle, c’était déjà l’affaire d’une vie, le siècle des Lumières opposant un mur quasi infranchissable à toute entreprise de ce genre. Au xxe siècle, si le projet existe encore, il n’est plus question de le mener à bien, juste d’en scruter l’horizon » (p. 9). Ce pessimisme est toutefois compensé par la modernisation originale de l’accès à l’appareil critique, puisque la bibliographie, une chronologie, un index sont accessibles au lecteur sur le site de l’éditeur, avec des hyperliens sur certaines notes donnant accès au texte numérisé des références. Voilà au moins une innovation qu’aurait certainement appréciée Norbert Elias, dont l’auteur se réclame avec insistance, et à juste titre.

L’ouvrage se déploie sur la très longue durée, de l’Antiquité à nos jours – en tenant compte d’un second volume, à venir, ce premier volume s’arrêtant à Sigmund Freud. Il ne s’agit pas pour autant d’un livre de synthèse mais d’une investigation originale, d’autant que son sujet n’a guère été exploré ni même constitué comme tel par l’histoire de la médecine, l’histoire des représentations et des idées et l’histoire des religions : toutes disciplines dont relève cette enquête consacrée à ce qu’on appellera commodément l’obsessionnalité, sous toutes les formes, multiples et parfois inattendues, qu’il lui arrive de prendre. L’on y rencontre ainsi successivement des auteurs antiques ou paléochrétiens (Théophraste et Plutarque, Évagre le Pontique et Augustin), les « scrupuleuses » du Grand Siècle et les premiers puritains, les mélancoliques romantiques, les patients de Jean-Étienne Esquirol et les tourments de Søren Kierkegaard, les « neurasthéniques » et les « obsédés » de l’époque moderne, les « psychasthéniques » de Pierre Janet et, enfin, les « névrosés obsessionnels » de Freud.

Fidèle à la pensée d’Elias, ce livre ne l’est pas seulement par sa temporalité étendue. Il s’intéresse au moins autant au sens commun qu’aux idées savantes, à la différence de trop d’approches philosophiques qui prétendent restituer le Zeitgeist à partir des écrits de quelques lettrés, dont on est en droit de se demander de quoi ou de qui ils sont représentatifs. Il ne se départit pas d’une posture descriptive et analytique, mais en aucune manière critique, se démarquant de trop d’approches foucaldiennes – ou se revendiquant de Michel Foucault – qui n’utilisent l’histoire que pour mieux critiquer le « pouvoir », ou de trop d’approches bourdieusiennes – ou se revendiquant de Pierre Bourdieu – qui n’utilisent la dénaturalisation ou le constructivisme que pour asseoir une critique de la « domination », d’autant plus naïve d’ailleurs qu’elle s’arcboute sur la croyance naturaliste selon laquelle une réalité « naturelle » serait moins arbitraire qu’une réalité « socialement construite ». Il met au premier plan non pas le vécu individuel, ni des entités abstraites abusivement substantialisées (telle que « la société »), mais – ce...

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