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Reviewed by:
  • The Last Utopia: Human Rights in History by Samuel Moyn
  • Emmanuel Naquet
Samuel Moyn The Last Utopia: Human Rights in History Cambridge, Belknap Press of Harvard University Press, 2010, 337 p.

Alors que les chercheurs et les enseignants, comme les citoyens et les militants, bénéficient [End Page 801] aujourd’hui de nombreux ouvrages juridiques sur les droits de l’homme en France, en Europe et/ou dans le monde, rares sont les mises au point historiques sur cette thématique pourtant omniprésente dans la rhétorique politique. Cet essai pionnier est donc bienvenu par son existence même, mais également par son contenu souvent suggestif et iconoclaste. En effet, selon Samuel Moyn, si les droits de l’homme sont proclamés à la fin du xviiie siècle, ce sont les « droits humains » qui s’imposent à la conscience universelle au lendemain de la découverte des camps d’extermination nazis, avec l’ardente nécessité de les rappeler et, pourquoi pas, de les refonder – voir la Déclaration universelle des droits de l’homme.

L’un des points essentiels de sa thèse est de dépasser la question sémantique distinguant droits de l’homme et « droits humains » – on parle de « droits de la personne » au Canada. Après Hannah Arendt, l’auteur considère que les premiers sont étroitement liés à la construction de l’État et de la nation et, partant, à la formation de la citoyenneté, tandis que les seconds visent à sauvegarder l’ensemble de l’humanité. La deuxième génération de droits, économiques et sociaux, revendiqués au xixe siècle et plus encore au cours du premier xxe siècle, relèveraient ainsi et aussi de la revendication d’une citoyenneté circonscrite à l’État.

S’il est incontestable qu’il existe un antagonisme entre État-nation et État de droit, l’auteur néglige les exigences de nombre d’associations à l’égard de l’État providence : de la Ligue des droits de l’homme au Secours rouge, ancêtre du Secours populaire. La première a largement poussé puis accompagné le tournant social-républicain en France analysé par Pierre Rosanvallon ; elle est allée jusqu’à proposer, à son congrès de 1936, un complément à la Déclaration de 1789 incluant précisément les droits économiques et sociaux mais, et le fait est d’importance, pas uniquement pour les seuls citoyens. Plus encore, au-delà du cadre hexagonal auquel cette organisation ne s’est jamais réduite, la Fédération internationale des droits de l’homme (Fidh), alors Ligue internationale des droits de l’homme, a mis en avant au même moment des droitscréances pour tous, illustrant leur caractère fondamentalement extensif, à la fois universel et indivisible.

Ainsi, quand S. Moyn réfute l’assimilation de la décolonisation à une lutte en faveur des « droits humains », il faut rappeler que des « indigènes » et des Européens se sont saisis, dans les colonies, des droits des peuples à disposer d’eux-mêmes. Certains d’entre eux ont combattu pour l’égalité et les libertés individuelles, illustrant un regard transcendant, à la fois supra-étatique et supranational, passant le cas échéant par la citoyenneté tout en débordant la seule construction de l’État ; en d’autres termes, il peut y avoir une citoyenneté sociale. Cet oubli des histoires européennes, mais pas seulement, est certainement l’un des manques de la démonstration.

Même réserve quand l’auteur aborde la Déclaration universelle de 1948. Ce texte n’a guère été prolongé, la pratique déclaratoire s’imposant peu au plan national, sauf au Canada. S’il fait aujourd’hui l’unanimité, il n’a vu ses principes, voire ses valeurs, s’imposer dans les droits positifs et les sociétés modernes que graduellement et inégalement ; certes, les ong de défense des droits se sont développées surtout dans les trente dernières années. Reste qu’il est difficile de suivre l’auteur lorsqu’il soutient qu’il a fallu attendre les années post-1968 pour que les droits sortent du...

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