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Reviewed by:
  • W. E. B. Du Bois and The Souls of Black Folk by Stephanie J. Shaw
  • Magali Bessone
Stephanie J. Shaw W. E. B. Du Bois and The Souls of Black Folk Chapel Hill, The University of North Carolina Press, 2013, xiii-273 p.

Cet ouvrage, à l’écriture fluide et élégante, propose une lecture attentive et originale du célèbre recueil d’essais de William Edward Burghardt Du Bois publié en 1903, Les âmes du peuple noir, dont le sens, l’ampleur et les implications n’ont cessé d’être discutés au cours des xxe et xxie siècles aux États-Unis1. L’auteure suggère que les lectures historiques, politiques, psychologiques ou sociologiques limitent l’interprétation du recueil et ratent ce qui était sans doute son ambition majeure, à savoir la dimension philosophique. Sous la plume de Stephanie Shaw, la « philosophie » est un champ homogène et les « philosophes », unifiés par des croyances communes, fonctionnent souvent comme un agent collectif. Néanmoins, l’auteure vise essentiellement la philosophie idéaliste (elle cite Platon, Aristote ou Emmanuel Kant) et en particulier la pensée hégélienne telle qu’elle se manifeste dans La phénoménologie de l’esprit. Selon elle, si l’on interprète Les âmes non comme un ensemble de textes épars, mais comme un tout dynamique, reproduisant le mouvement dialectique présent dans La phénoménologie et conduisant de la conscience de soi à l’esprit en passant par la raison, nombre de passages apparemment contradictoires ou obscurs prennent un sens nouveau.

S. Shaw note que certains commentateurs, en particulier Shamoon Zamir, avaient déjà insisté sur l’importance que revêt La phénoménologie dans la mise en scène du « drame de l’altérité2 » qui se joue dans Les âmes – en particulier pour saisir ce qui sous-tend la célèbre métaphore de la « double conscience » afroaméricaine proposée par Du Bois et le problème afférent de la « reconnaissance » de l’identité noire. Cependant, de son point de vue, la lecture de S. Zamir se concentre à tort sur la réappropriation par Du Bois du moment hégélien de la « conscience malheureuse » qui ne parvient pas à une vraie « conscience de soi » en raison du « voile » de couleur qui recouvre (et traverse) les Afro-Américains. Selon S. Zamir, Du Bois « refuse de subsumer la particularité négative de l’expérience afroaméricaine dans une téléologie historiciste ». Or l’ambition de S. Shaw est de montrer que l’influence de La phénoménologie sur Les âmes va bien plus loin que la simple mobilisation de ce premier moment. C’est l’ensemble du parcours de l’« âme » noire, selon le terme choisi par Du Bois pour le titre de son recueil, ou de l’« esprit » noir, selon la traduction consacrée du Geist hégélien, qui est retracé à travers les quatorze essais composant le recueil. L’accent mis par les commentateurs sur la « double conscience » a dissimulé l’ampleur de l’idéal poursuivi par Du Bois, celui de la réalisation de la « fraternité humaine » (Les âmes, p. 18). À rebours des interprétations de l’œuvre de Hegel qui ont cours aux États-Unis au tournant du xxe siècle, il s’agit pour Du Bois de réintégrer l’âme noire dans « l’âme du monde » de telle sorte que cette dernière parvienne, grâce à la promotion d’une démocratie réelle favorisant la conscience et la liberté de toutes les âmes, à la « complétude et l’harmonie » (ibid., p. 8).

S. Shaw propose de prendre au sérieux le mouvement ternaire qui traverse le livre de Du Bois et distingue les moments du « travail, [de] la culture, [de] la liberté » (ibid., p. 8). Elle relit à cette lumière les différents chapitres comme un mouvement continu menant l’âme à l’auto-réalisation de soi. Sont particulièrement dignes d’intérêt les très belles analyses qui montrent que, malgré son parcours académique en sciences sociales, c’est une inquiétude proprement...

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