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  • Nuits savantes. Une histoire des rêves (1800-1945) by Jacqueline Carroy
  • Hervé Guillemain
Jacqueline Carroy Nuits savantes. Une histoire des rêves (1800-1945) Paris, Éd. de l’Ehess, 2012, 460 p.

Que devient le rêveur quand le rêve est fini? À travers une galerie de portraits et d’ouvrages consacrés à la science des rêves, Jacqueline Carroy nous fait plonger dans l’histoire d’une activité sociale nouvelle au xixe siècle : le recueil, la mise par écrit et le partage de ses rêves. Une douzaine de chapitres ordonnés chronologiquement reconstitue les différentes conceptions et pratiques de mise en scène et en science du rêve, et délivre une histoire de la production de la science au quotidien par des rêveurs savants, médecins, psychologues, philosophes et amateurs. Le xixe siècle, qui contribue à l’essor d’une écriture scientifique de soi, correspond à l’époque de la prise en compte du rêve comme objet scientifique (avant d’être thérapeutique) et de l’émergence d’un nouveau genre littéraire, celui du livre de rêve, qui compose la source principale des Nuits savantes. Des hommes se mettent en effet à noter précisément le contenu de leurs rêves, à éditer des anthologies personnelles, à proposer des voies d’analyse détachées des clefs des songes populaires qui restent à cette époque des best-sellers. Faire science avec un matériau cocasse et amusant, tel est le projet qui relie ces savants amateurs ou professionnels à l’auteure du livre.

Au début du xixe siècle, deux manières d’aborder le rêve coexistent. Une approche médicale, d’une part, interroge le fondement physiologique des faits de sommeil et met en évidence le retrait de la volonté du dormeur. Pour Georges Cabanis ou Jacques-Louis Moreau de la Sarthe, le rêve est le fruit d’un accident, d’une amplification des sensations internes, qui ne peut guère susciter de développements psychologiques. Une approche spiritualiste, d’autre part, tend à normaliser le rêve et à lui conférer un tel intérêt qu’il suscite de nouvelles pratiques d’écriture. Parmi les pionniers du « nocturnal », Antoine Charma note heure par heure ses rêves dans les moindres détails et les publie sous forme de journal en 1851. La question des facultés à l’œuvre dans le sommeil devient alors un objet d’intérêt académique, particulièrement chez les aliénistes qui, comme Louis-Francisque Lélut ou Jacques-Joseph Moreau de Tours, favorisent l’expérimentation sur les divers états du sommeil.

À l’approche des médecins, des magnétiseurs, des philosophes et des psychologues s’ajoute désormais celle des novateurs inclassables que sont Alfred Maury et Léon d’Hervey de Saint-Denys. Le premier, auteur d’un ouvrage rapidement réédité et abondamment cité (y compris par Sigmund Freud), Le sommeil et les rêves (1861), apparaît comme le fondateur de la science des rêves du xixe siècle. Auteur d’un nocturnal tenu entre 1844 et 1878, Maury s’expose au lecteur de manière inédite et consacre la transformation d’un objet intime en nouvel objet social, ce dont témoignent les [End Page 796] nombreux échanges qui ont les rêves comme objet dans son cercle de relations. Le scientifique lancé dans une forme d’autobiographie nocturne s’expose alors dans toute sa fragilité et sa singularité tout en délivrant les secrets d’une démarche expérimentale bien rodée. Maury s’exerce par exemple à influencer son sommeil pour illustrer le caractère non automatique des rêves. Fondateur d’une méthode, il a aussi édifié une anthologie au sein de laquelle de très nombreux auteurs vont venir puiser dans la suite du siècle. Comme le rappelle J. Carroy, « on pourra ainsi rêver avec ou contre Le sommeil et les rêves au moins jusqu’à la Seconde Guerre mondiale » (p. 114). Le livre de son rival Hervey de Saint-Denys, publié en 1867 sous le titre Les rêves et...

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