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  • « Tous les goûts à la fois ». Les engagements d’un aristocrate éclairé de Bohême by Claire Madl
  • Claire Gantet
Claire Madl « Tous les goûts à la fois ». Les engagements d’un aristocrate éclairé de Bohême Genève, Droz, 2013, xii-467 p.

L’historiographie retient que le dernier tiers du xviiie siècle, traversé de réajustements constants du cadre étatique de la Bohême, est pour la noblesse tchèque soit le moment d’un repli sur elle-même, soit celui d’une dilution dans des élites savantes aux intérêts divergents. Claire Madl invite ici à revisiter ce double poncif en étudiant conjointement la biographie du comte Franz Anton Hartig (1758-1797), sa bibliothèque de 10 000 volumes et sa collection d’histoire naturelle. Tout au long de ce livre précis et sensible à la matérialité, à la manipulation ainsi qu’à la dimension affective des sources, elle étudie les communautés de référence de ce noble de Bohême, telles qu’il les révèle par sa bibliothèque et ses écrits comme par ses engagements dans la sphère publique, au moyen de réseaux qui facilitent son action.

Dans la première partie, l’auteure sonde les stratégies d’ascension sociale de la lignée, issue de Silésie, qui, après une conversion au catholicisme, entre dans les offices et s’ancre en Bohême – à l’instar de la « noblesse seconde » française analysée par Jean-Marie Constant, qui assure la transmission entre le pouvoir central et les organes des provinces. Après avoir évoqué le voyage de formation du comte (qui n’est pas intrinsèquement « cosmopolite », mais est mis au service de stratégies mondaines et de la découverte de soi) et sa formation à Ratisbonne, C. Madl centre son propos sur la constitution de sa bibliothèque en menant une étude statistique et historique, [End Page 784] enrichie d’un examen de certains exemplaires et des pratiques et représentations qu’ils dénotent. Située dans son palais pragois du quartier de Malá Strana, la bibliothèque s’organise en plusieurs salles qui aménagent un accès différencié, allant de la littérature la plus solennelle dans la première pièce vers la sphère privée dans la pièce attenant aux appartements du comte et contenant la philosophie et les romans licencieux. Ouverte – du moins dans sa partie « officielle » – à l’élite savante pragoise et dotée à égalité (26 % respectivement) d’ouvrages d’histoire, de belles-lettres et de sciences, elle se prête à des pratiques variées : elle s’adresse au professionnel de la politique et à l’amateur des sciences en tant que cabinet d’étude, aussi bien qu’au mondain comme réserve de bons mots.

La deuxième partie est consacrée à l’insertion de Hartig dans les réseaux lettrés et professionnels. Ce n’est pas par ses titres de noblesse que le comte justifie les ouvrages qu’il livre au public, mais par son appartenance à des sociétés savantes désormais reconnues comme des acteurs incontournables de la vie publique ; loin d’être un lieu de loisir, sa bibliothèque doit en retour servir sa carrière. Son action en tant qu’ambassadeur de l’empereur à la cour de Saxe à Dresde entre 1785 et 1795 est corollairement servie par des lectures, notamment de journaux et de périodiques savants issus des Pays-Bas autrichiens – une sorte de plaque tournante européenne pour les nouvelles francophones–, de Brandebourg et de Hanovre, deux principautés particulièrement observées en ces temps de troubles politiques. Au service du souverain puis de l’institution étatique, Hartig traque les sources d’information sous toutes les formes.

Les engagements de Hartig en Bohême font l’objet de la troisième partie. C’est par ses médecins Jean-Philippe de Limbourg (à Spa) et Johann Mayer (à Prague) que Hartig pénètre les sociétés savantes. Or ces dernières non seulement promeuvent la discussion économique, mais sont aussi des instruments destinés à améliorer l’efficacité des politiques du pouvoir. Dans...

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