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  • Le voyage et la découverte des Alpes. Histoire de la construction d’un savoir, 1492-1713 by Étienne Bourdon
  • François Walter
Étienne Bourdon Le voyage et la découverte des Alpes. Histoire de la construction d’un savoir, 1492-1713 Paris, Pups, 2011, 639 p.

Ce livre, issu d’une thèse de doctorat, a été justement distingué par un prix de l’Académie française tant il bouleverse les idées reçues sur la part de la science et celle de l’esthétique dans la découverte des Alpes. En effet, dans la foulée des recherches qui, depuis une vingtaine d’années, remettent en question la doxa sur la question, Étienne Bourdon se démarque d’une chronologie qui attribue, suivant des critères purement esthétiques, au xviie siècle un désintérêt pour la montagne (les « monts affreux ») et au xviiie siècle finissant sa valorisation (les « monts sublimes »). En relisant les sources, en particulier une soixantaine de récits de voyage, quelque soixante-dix cosmographies et ouvrages de géographie ainsi que d’innombrables documents cartographiques, É. Bourdon analyse le processus de construction du savoir sur l’espace alpin de la Renaissance à l’aube du xviiie siècle. Pour lui, c’est la priorité de l’expérience qui fonde une relation à l’espace « ontologiquement liée à son parcours » par le voyage ; ou encore, comme il le dit dans une belle formule « l’espace et le pas, des lieux et des lieues » (p. 24), la genèse d’un primat du voir sur un savoir préexistant.

Le champ d’investigation est limité aux Alpes occidentales. Justifié par l’ampleur des sources, ce choix ne remet pas en cause la portée des conclusions même s’il restreint forcément la démonstration aux sources en français, en italien et en latin, pour éclairer en définitive l’ancrage d’un savoir dans la culture française et italienne. C’est ce que l’auteur appelle, encore une fois par une formule très expressive, l’« orogenèse culturelle des Alpes occidentales » (p. 526). [End Page 773]

La première partie du livre est consacrée à la matérialité du voyage dans les Alpes, un aspect essentiel trop longtemps négligé par la recherche viatique. Les voyageurs passent les monts pour des raisons professionnelles (les marchands, les soldats) mais aussi culturelles et religieuses (pèlerinages). Cela signifie que, sauf exception, les montagnes sont un simple « espace de parcours » (p. 48) à surmonter et qu’elles ne suscitent guère d’intérêt en ellesmêmes. Cet obstacle coûte de l’argent (trois à quatre fois plus que le déplacement en plaine) et du temps (en moyenne trois jours) et se pratique surtout, en raison du « Petit Âge glaciaire », en dehors des mois d’hiver. Le corpus utilisé donne assez logiquement une large préférence au Mont-Cenis, col qui voit passer les deux tiers des voyageurs suivis par É. Bourdon. La plupart du temps, les traversées s’effectuent sans carte. Une liste d’étapes suffit. Seuls les militaires, à la recherche d’itinéraires alternatifs, éprouvent le besoin de recopier des cartes encore rares et dispendieuses. Documents très précieux, ces cartes manuscrites aux notations ciblées préfigurent une lecture plus spatialisée du paysage. Quant aux guides ou « marrons », ils sont indispensables pour choisir les passages sûrs et les gués, ou encore pour maîtriser la technique de descente sur les névés (utilisation de la « ramasse », une sorte de luge assez sommaire). Il fournit aussi de précieuses informations sur la pratique des sauf-conduits, sur les vêtements, les auberges apparemment très inconfortables et même sur les calories nécessaires à l’effort ou sur la psychologie du voyageur.

Mais l’essentiel du message de ce livre repose sur les deuxième et troisième parties qui, selon une partition chronologique, détaillent d’abord la mise en place d’un nouveau regard sur les Alpes (1492-1590) puis la transformation de l’espace alpin en territoire (1591-1713). É. Bourdon...

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