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Reviewed by:
  • Richelieu et l’écriture du pouvoir. Autour de la journée des Dupes by Christian Jouhaud
  • Françoise Hildesheimer
Christian Jouhaud Richelieu et l’écriture du pouvoir. Autour de la journée des Dupes Paris, Gallimard, 2015, 341 p.

« Il ne s’agit plus d’écrire l’histoire d’un événement à partir de sources qui, correctement articulées et hiérarchisées, en produiraient la vérité, mais de regarder chaque écrit lié à l’événement comme la trace d’une action prenant sens dans le mouvement des interactions à l’œuvre au sein du dispositif de pouvoir. […] Regarder les écrits comme des actes signifie que l’analyse de la pensée politique qu’ils expriment, loin d’être cantonnée à celle des concepts qu’ils mobilisent, passe par la mise au jour de la pensée de l’action qui rend pensable, dans l’action, le recours à ces concepts, dont l’utilité n’est pas alors à rapporter à leur force théorique mais à leur utilité située » (p. 9-10). L’obscure clarté de ces phrases programmatiques pourrait décourager le lecteur à poursuivre la découverte de ce qui est pourtant un grand livre, attendu de longue date, de Christian Jouhaud.

La longue maturation du sujet et la profonde connaissance qu’a l’auteur de la littérature du xviie siècle ont fait de lui un graveur qui dissout à l’acide de la critique des sources un événement traditionnellement célébré pour faire apparaître en relief – à partir des écrits produits dans un but d’action politique puis d’histoire – le jeu mouvant des forces politiques des années 1627-1634 et replacer in fine plus justement cet événement au cœur du dispositif de pouvoir.

Le point de départ de sa réflexion est l’article classique de Georges Pagès1, qui a transformé l’affrontement entre le cardinal [End Page 768] de Richelieu et Marie de Médicis en choc de deux politiques, respectivement proposées par Richelieu, tenant de l’affirmation par la guerre, et par Michel de Marillac, le dévot garde des Sceaux, partisan de la réforme intérieure. À partir de là, C. Jouhaud donne à voir des mises en texte de niveaux divers conduisant un parcours remarquablement articulé en trois temps et quatre étapes : la journée des Dupes au regard des écrits qui la relatent ou qui l’ignorent, jusqu’à son entrée dans l’écriture historique (« Histoire d’une crise politique ») ; ce que l’événement révèle de l’articulation nouvelle du pouvoir, de Richelieu (« Richelieu, la puissance d’agir ») et surtout de Louis xiii (« Le roi, la cérémonie et la violence ») ; un retour au point de départ enfin : Richelieu et Marillac (« Deux politiques? »).

La puissance de la réaction provoquée par la disgrâce de Richelieu, démis de ses charges par Marie de Médicis le 10 novembre 1630, est soulignée dans la première partie, qui insiste sur l’exil de la reine mère, l’alliance de Richelieu avec Henri II de Bourbon-Condé, etc. : le serviteur congédié par la mère réussit à maintenir son statut et même à l’accroître auprès du fils. Puis l’auteur s’essaie à l’impossible reconstitution de ce qui reste le passage obligé de toute biographie : on ne saura jamais ce qui s’est passé – s’il s’est même passé quelque chose – entre le roi, sa mère et son ministre le 11 novembre, mais le bon mot réussi de Guillaume Bautru a donné matière à un imaginaire, recomposé jusqu’à nos jours en fonction de l’interprétation que l’on en fait. Des sources taiseuses laissent peu à peu la place à des historiens imaginatifs. Se succèdent ainsi l’information orientée des correspondances écrites dans l’entourage des gouvernants, la relecturemontage du Mercure (passant par l’amalgame avec le cardinal d’Amboise), les peu diserts « Mémoires » de Richelieu qui assurent un discret passage à l’histoire, le Testament politique (1688), puis les premiers historiens, Charles Viallart, Scipion Dupleix, escamotant l’événement au profit de l’évocation de...

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