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  • La cité du soleil et les territoires des hommes. Le savoir du monde chez Campanella by Jean-Louis Fournel
  • Hélène Soldini
Jean-Louis Fournel La cité du soleil et les territoires des hommes. Le savoir du monde chez Campanella Paris, Albin Michel, 2012, 368 p.

Comment dire le monde et penser son unité à l’orée du xviie siècle, au moment même où son éclatement semble scellé du fait d’une triple rupture provoquée par la découverte de nouveaux territoires, la division du catholicisme en Europe et l’installation du conflit comme horizon de la politique? Cette question d’ordre général, Jean-Louis Fournel entend l’aborder en analysant le cas particulier des écrits du dominicain calabrais Tommaso Campanella (1568-1639). Philosophe, poète, mage et astrologue, Campanella rédige, en partie depuis les geôles espagnoles de Naples et les prisons romaines où il passe vingt-sept années, une œuvre encyclopédique tendue vers un même projet universaliste : un système mondial placé sous l’autorité spirituelle du pape et régi par un sénat permanent de princes chrétiens. La cité du soleil et les territoires des hommes explore ce paradoxe, qui n’est qu’apparent, entre l’isolement de l’écrivain et son engagement en faveur d’une conception unitaire du monde, en montrant comment Campanella élabore, grâce à une écriture polymorphe, un nouveau savoir global de la terre qui autorise à penser le monde dans sa diversité.

On connaît les travaux consacrés par J.-L. Fournel à l’histoire de la pensée politique italienne du xvie siècle, en particulier à Nicolas Machiavel, François Guichardin ou Jérôme Savonarole. S’inscrivant dans le cadre du renouvellement depuis quelques décennies des études campanéliennes1, il relève le défi d’une lecture strictement politique du corpus dans le but, non pas d’imposer une interprétation univoque des textes ou d’épuiser la complexité de la pensée de Campanella, mais d’ouvrir au sein de ce laboratoire collectif une direction de recherche alternative. Aussi l’ambition du [End Page 766] livre n’est-elle pas tant de convoquer le providentialisme eschatologique du dominicain ou son prophétisme astrologique que de démontrer l’actualité du projet de monarchie catholique universelle qu’il met en œuvre. Dès lors, cet objectif repose sur la révision de catégories qui risquent de fausser le débat.

Il s’agit, d’un côté, d’interroger la pertinence de l’utopie de Campanella, en dévoilant combien La cité du soleil – son ouvrage le plus célèbre, dont la lecture a orienté toute une tradition interprétative – se présente avant tout comme une géopolitique actualisée, une utopie « qui se pens[e] dans le monde et à partir du monde […] par l’articulation des territoires qu’elle propos[e] » (p. 37), ce qui revient à la fois à « désutopiser » l’écriture du Calabrais et à « reterritorialiser » sa pensée (p. 203). Il convient, de l’autre, d’admettre la polysémie de la catégorie d’empire dont témoignent les usages contemporains, puisque le projet d’unification du monde apparaît ici irréductible aussi bien à un héritage romain ou médiéval d’ordre juridique qu’à une vision moderne de l’équilibre des puissances. La forme d’empire capable de concrétiser le dessein divin dépend en revanche d’une « géosophie » nouvelle, c’est-à-dire d’un savoir de la terre qui se distingue de la géographie (descriptive et taxi-nomique) en ce qu’il envisage les territoires comme le lieu de déploiement non seulement de la Providence, mais aussi de la liberté des hommes, ce dont la communauté solarienne est, en définitive, une illustration possible. L’émergence d’une pensée distincte du monde, d’un savoir qui se configure à la fois comme tension cognitive et comme condition de réalisation d’un programme politique, exige, par conséquent, une redéfinition constante des rapports entre le local et le global, et justifie la distribution des chapitres.

Le livre...

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