In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

Reviewed by:
  • L’usurier chrétien, un juif métaphorique? Histoire de l’exclusion des prêteurs lombards, xiiie-xviie siècle by Myriam Greilsammer
  • David Kusman
Myriam Greilsammer L’usurier chrétien, un juif métaphorique? Histoire de l’exclusion des prêteurs lombards, xiiie-xviie siècle Rennes, Pur, 2012, 344 p. et 22 p. de pl.

Convenons-en, les ouvrages se risquant à proposer une clef d’interprétation globale de la marginalisation par la société médiévale des minorités ethniques ou culturelles sont plus le fait d’historiens anglophones que d’historiens issus du monde des médiévistes francophones. Pensons aux jalons posés par les ouvrages récents ou réédités de Robert Ian Moore, de Mark Cohen ou encore de David Nirenberg, qui ont rencontré, à juste titre, un large écho dans l’historiographie des minorités ces vingt dernières années1. Est-ce le signe d’une frilosité ou d’un malaise par rapport à cette thématique, ou la résonance plus forte des ethnic studies dans les départements d’histoire, de littérature et d’anthropologie dans les universités américaines (surtout) et anglaises (un peu moins)? Ce n’est pas le lieu de trancher ici mais constatons cet état de fait.

En cela, l’ouvrage de Myriam Greilsammer est ambitieux et original par son propos. Il rassemble, à notre connaissance pour la première fois, une iconographie très complète consacrée à la thématique de l’usurier, de Giotto à David Teniers le Jeune en passant par Jérôme Bosch. L’auteure s’inscrit dans la tradition de l’histoire des mentalités. Elle se fonde notamment sur le modèle interprétatif de R. Moore d’une société chrétienne médiévale dite de persécution et de ses mécanismes de discrimination. Ce faisant, elle démontre comment les «Lombards» – appellation courante dans les anciens Pays-Bas pour les prêteurs majoritairement originaires des villes piémontaises d’Asti et de Chieri–, au départ agents économiques et humains essentiels des réseaux de crédit médiéval, ont été exclus de la vie publique et marginalisés au cours des xvie et xviie siècles, dans la foulée des canons du concile de Trente et de la vague répressive de la Contre-Réforme.

C’est par la présentation d’un texte exceptionnel que M. Greilsammer introduit son propos; resté à l’état de projet, il est probablement rédigé à la fin du xvie siècle et adressé à l’empereur Philippe II. Son auteur anonyme propose que les usuriers chrétiens bénéficiant d’une autorisation impériale de prêter à intérêt, en majorité des financiers piémontais à cette époque, portent une longue robe et un bonnet jaune «ou d’autre couleur ou sinon une marque qui permette de les reconnaître pour ce qu’ils sont» (p. 9), à savoir des usuriers. Il leur serait désormais interdit d’entretenir tout négoce avec les habitants des anciens Pays-Bas, hormis le prêt à intérêt. Cette mesure discriminatoire était un héritage intellectuel, comme le rappelle M. Greilsammer, du canon 68 du concile de Latran IV prescrivant aux juifs de se distinguer de la communauté des chrétiens par le port d’un habit spécifique. La proposition était par conséquent révélatrice de la perception négative des Lombards par les autorités religieuses et séculières, dont l’auteure, avec raison, souligne qu’elle n’emporta jamais une adhésion populaire, contrairement aux chasses aux sorcières menées dans l’Europe occidentale de l’époque moderne.

Partant de ce texte, M. Greilsammer souhaite expliquer la révocation en 1618, par les archiducs Albert et Isabelle, du monopole de [End Page 242] prêt des Lombards et leur remplacement par les monts-de-piété, cent cinquante ans après l’instauration de ces institutions de prêt charitables en Italie, sous l’influence des prêches franciscains. Après un survol historiographique instructif de la litt...

pdf

Share