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Reviewed by:
  • L’amazone et la cuisinière. Anthropologie de la division sexuelle du travail by Alain Testart
  • Emmanuel Désveaux
Alain Testart L’amazone et la cuisinière. Anthropologie de la division sexuelle du travail Paris, Gallimard, 2014, 188 p.

Alain Testart nous a quittés prématurément en 2013. Grand savant – au sens propre du mot–, il tranchait au sein de la communauté anthropologique par un détachement inhabituel par rapport aux engouements théoriques du moment, aux coteries institutionnelles, ainsi qu’à la mythologie propre à la discipline. Ce dernier point fait référence à la conception, dont la paternité est attribuée à Claude Lévi-Strauss, d’un développement de la réflexion anthropologique en trois étapes : ethnographie, ethnologie – assimilable à une première élaboration comparative des matériaux récoltés en les rapportant à leur contexte régional – et, enfin, anthropologie proprement dite – niveau où doivent se dessiner les lois générales recherchées. Or A. Testart n’a jamais fait de terrain. De la même façon, dans son œuvre abondante, il ne s’est guère embarrassé de l’échelle intermédiaire des aires dites culturelles. Il en découle chez lui une anthropologie compilatoire assez rugueuse qui n’est pas sans évoquer celle du xixe siècle.

Cela étant, sur une question aussi universelle et générale que celle de la différence entre les hommes et les femmes, une telle anthropologie « brute de décoffrage » est susceptible d’avoir ses vertus. Le livre d’A. Testart, écrit dans un style net, sans jargon ni fioriture, permet en effet de faire le point sur la thématique qui suscite à l’heure actuelle tant de débats enfiévrés. On défie ici les tenants des « études de genre », qui annexent avec désinvolture le savoir anthropologique pour le transformer en un réservoir sans fond dans lequel chacun ou chacune peut puiser à sa guise l’exemple ad hoc qui viendrait contredire la naturalité supposée des rôles sociaux assignés respectivement au masculin et au féminin par la pensée réactionnaire. L’examen un tant soit peu systématique de l’immense corpus des données ethnographiques consignées d’un bout à l’autre de la planète laisse bien entrevoir des tendances, sinon des constances, en matière de différences entre les hommes et les femmes.

A. Testart entend déjouer le piège du sens commun selon lequel le moindre développement physique des femmes et la maternité, censée réduire la mobilité individuelle, constitueraient une double entrave « naturelle » et suffiraient pour expliquer que les femmes sont, dans toutes les sociétés humaines, assignées à certaines tâches et, surtout, exclues d’autres. Réfutant un tel déterminisme matérialiste trivial, il souhaite situer la discussion à un autre niveau, qu’il qualifie de symbolique. Il s’agirait, en définitive, toujours d’une affaire de sang. Les femmes ne sont pas par principe privées d’aller à la chasse, mais il leur est dénié la possibilité de tuer des animaux avec des armes perçantes, car elles ne peuvent, à la différence des hommes, faire jaillir le sang. Autrement dit, elles ne peuvent trancher avec violence, dans la mesure où elles sont elles-mêmes potentiellement menstruées ou parturientes, c’est-à-dire saignantes. Il faut s’interdire de faire couler le sang lorsque le sang s’écoule déjà de soi. Il ne faut pas superposer le même au même. A. Testart revendique ici ouvertement un double héritage, celui de Laura Makarius, pour qui le sang est par essence sacré, et celui de Françoise Héritier, pour qui il existe dans toute culture un impératif absolu d’altérité.

Cette grande loi se manifesterait dans le domaine technique en opposant aux travaux typiquement masculins des travaux typiquement féminins. Dans un premier temps, cette opposition a trait aux matériaux. D’un côté, les hommes travaillent les matériaux durs, tels [End Page 532] que la pierre, le bois, le métal – ce sont eux qui creusent les mines et qui...

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