In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

Reviewed by:
  • Le fascisme. Historiographie et enjeux mémoriels by Olivier Forlin
  • Marie-Anne Matard-Bonucci
Olivier Forlin Le fascisme. Historiographie et enjeux mémoriels Paris, La Découverte, 2013, 405 p.

Le fascisme est l’une des questions les plus controversées dans l’historiographie du XXe siècle. Fondé sur une bibliographie de plus de sept cents titres, le livre d’Olivier Forlin parcourt les évolutions et les enjeux des interprétations du fascisme en se focalisant sur les cas français et italien. S’il existe déjà certains outils permettant d’appréhender l’évolution des recherches et si l’histoire des usages publics de la mémoire s’est développée ces deux dernières décennies, en France comme en Italie, l’un des principaux mérites de l’ouvrage est d’analyser d’un même élan les recherches historiques et les polémiques nées dans l’espace public et de démêler l’écheveau des liens étroits unissant mémoire, histoire et politique. La démarche consiste moins en une histoire comparée des historiographies des cas italien et français, abordés le plus souvent dans des chapitres séparés, que dans la mise en résonance de débats qui présentent certains points d’analogie. Dans cette lecture en parallèle, l’historiographie du national-socialisme, évoquée seulement dans le chapitre sur le fascisme générique, fait un peu figure de tiers absent, un manque que l’on ne saurait reprocher toutefois à un travail d’une telle ampleur.

L’auteur présente les interprétations dites « classiques » du fascisme qui se mettent en place après 1945 et dominent l’historiographie jusqu’aux années 1960, qu’elles émanent des historiens ou d’autres chercheurs en sciences sociales. Parcourant un terrain balisé par des essais historiographiques antérieurs (Renzo De Felice, Pierre Milza, Yvan Gouesbier), il évoque trois lectures dominantes. La thèse dite de la « maladie morale », répandue dans les cercles libéraux, trouve en Benedetto Croce l’un de ses principaux défenseurs : le fascisme aurait représenté, en Italie comme en Europe au lendemain de la Grande Guerre, une forme d’égarement de la conscience et, en définitive, une parenthèse fâcheuse dans le processus d’affirmation de la démocratie libérale. La thèse dite de la « révélation », popularisée par des intellectuels tels que Carlo Rosselli, Gaetano Salvemini ou Piero Gobetti, présente le fascisme comme la conséquence de « maux » passés de la société italienne : inachèvement du Risorgimento, corruption des élites, absence de culture démocratique. Selon la thèse marxiste, enfin, le fascisme – considéré comme le produit de la crise du capitalisme – est essentiellement perçu comme la manifestation du caractère réactionnaire de la bourgeoisie.

O. Forlin montre que cette dernière approche connut des déclinaisons multiples, au gré des évolutions de la ligne de l’Internationale communiste et sous l’influence des analyses de Palmiro Togliatti et d’Antonio Gramsci. Il n’ignore ni les interprétations considérées comme mineures – nées dans les milieux chrétiens ou la mouvance socialiste – ni les premières théories du totalitarisme nées en France et dans les milieux antifascistes allemands de la New School for Social Research. Ce tableau précis du fascisme italien ne comporte pas d’équivalent pour le versant français, ce qui est regrettable d’autant que « la question de l’appartenance ou non de certains des mouvements d’extrême droite, et notamment du plus puissant d’entre eux, la ligue des Croix-de-Feu, mais aussi de l’Action française de Charles Maurras, au fascisme s’est posée très tôt » (p. 55).

Tandis qu’une première historiographie des ligues et de Vichy se développe en France dès les années 1950, le démarrage des recherches est différé, dans la péninsule, du fait des conditions d’accès aux archives et de la priorité qui est donnée par les intellectuels antifascistes à la reconstruction de...

pdf

Share