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  • La force du social. Enquête philosophique sur la sociologie des pratiques de Pierre Bourdieu by Claude Gautier
  • Francesco Callegaro
Claude Gautier La force du social. Enquête philosophique sur la sociologie des pratiques de Pierre Bourdieu Paris, Éd. du Cerf, 2012, 457 p.

Malgré l’inertie apparemment insurmontable des institutions, la pratique vivante de la recherche est en train de transformer les rapports entre sociologie et philosophie. Au-delà des séminaires et des colloques qui s’efforcent d’ouvrir un espace de travail commun, c’est d’abord à des ouvrages de philosophie des sciences sociales que revient le mérite d’avoir impulsé ce changement salutaire. Il ne faut pas s’en étonner, puisque la limite de la division du travail actuelle, qui contraint les deux disciplines à une indifférence réciproque traversée par une conflictualité latente, tient à l’incapacité de saisir la signification de la sociologie en tant que forme de savoir qui a repris à son compte les questions conceptuelles et les enjeux normatifs de la philosophie, dans un dépassement dont seule cette dernière peut mesurer toutes les conséquences1.

C’est une telle enquête philosophique qu’a voulu réaliser Claude Gautier, en s’attaquant à une œuvre qui, plus que toute autre, semble devoir y résister : la sociologie de Pierre Bourdieu. Prenant le risque d’un de ces commentaires académiques critiqués par P. Bourdieu lui-même, l’auteur montre de manière convaincante que seul un détour philosophique permet de restituer la teneur théorique de la rupture sociologique bourdieusienne. Dans la lecture qu’il en propose, celle-ci tient surtout à son détournement du criticisme kantien et du pragmatisme wittgensteinien, double geste ayant permis de fonder une sociologie des pratiques de connaissance se traduisant par une connaissance sociologique des pratiques sociales. Après un premier chapitre général, qui défend notamment la nécessité d’expliciter l’ontologie sociale recelée dans les postulats immanents à l’enquête sociologique, le livre s’organise ainsi de façon claire et cohérente en abordant l’un après l’autre les deux volets de la sociologie de P. Bourdieu, comprise comme une sociologie générale des pratiques.

Le deuxième chapitre présente la sociologie des pratiques de connaissance afin de préciser les conditions de possibilité d’un discours, celui de la sociologie, qui entend rompre avec la pratique pour mieux y retourner sans déformation. Comme C. Gautier le souligne, en revenant sur la critique de l’opinion publique produite par les sondages, la spécificité de P. Bourdieu a consisté à reprendre l’« épistémologie de la résistance » propre à la « tradition durkheimienne et bachelardienne » (p. 93), laquelle revendique le besoin d’éprouver le fait social comme chose réelle s’opposant à l’écran imaginaire des opinions, en voyant pourtant dans la rupture savante, désormais pensée comme posture scolastique, une source possible de distorsion. P. Bourdieu a dès lors redéfini la « rupture épistémologique » en formulant l’exigence de redoubler l’objectivation des prénotions communes par celle des constructions savantes. Le reste du livre se propose de dégager la conception de la pratique impliquée par le regard sociologique ainsi constitué dans sa bonne distance avec elle.

Le troisième chapitre aborde la théorie bourdieusienne de la pratique en empruntant la voie négative d’une critique des conceptions de l’action humaine comme choix volontaire et exécution mécanique qui caractérisent, respectivement, le subjectivisme (existentialiste et individualiste) et l’objectivisme (structuraliste), paradigmes généraux dérivant d’une même posture scolastique inconsciente d’ellemême. C’est l’occasion de rappeler que « l’intention théorique de Bourdieu » n’a pas été de se débarrasser de l’homme mais de le retrouver, au-delà du sujet et de sa critique, comme « agent de ses pratiques » (p. 163). On regrette que les discussions contemporaines en philosophie de l’action et des normes ne viennent pas nourrir ces analyses critiques, qui auraient ainsi gagné en clarté et solidité. Mais c’est que C. Gautier entend d’abord restituer...

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