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Reviewed by:
  • Au-delà de Freud. Sociologie, psychologie, psychanalyse by Norbert Elias
  • Claire Pagès
Norbert Elias Au-delà de Freud. Sociologie, psychologie, psychanalyse trad. par M. Joly, N. Guilhot et V. Meunier, Paris, La Découverte, 2010, 215 p.

Cet ouvrage est composé de transcriptions d’exposés oraux (séance de cours, conférences) datant de périodes très différentes (1950, 1969-1972, 1980, 1988, 1990), rédigés en anglais ou en allemand, parfois dans les deux langues. Il a ainsi demandé un important travail à la fois de traduction et d’établissement des textes, qu’il faut saluer.

Intitulé d’après une formule empruntée à un entretien accordé par Norbert Elias à Roger Chartier en 1985, il permet de prendre la mesure de l’apport de la psychanalyse à la sociologie historique éliasienne. N. Elias apparaît bien ici comme « le plus freudien des sociologues », selon l’expression de Bernard Lahire dans sa postface (p. 188). Sigmund Freud est d’ailleurs l’un des premiers auxquels N. Elias a envoyé un exemplaire du Processus de civilisation. La psychanalyse est ainsi une composante essentielle de cette psychologie sociale qui doit contribuer à livrer une image globale de l’homme, saisi dans les interdépendances dans lesquelles il est pris, à rebours, d’une part, de la division traditionnelle des savoirs et, d’autre part, de l’individualisme de principe de nombre de disciplines scientifiques, psychologie et philosophie en particulier.

N. Elias retient de S. Freud à la fois la reconnaissance du caractère déterminant des premières années de l’enfance, la nature libidinale de l’être humain, une conception résolument dynamique de l’homme et l’idée que ses conduites sont déterminées non par ses seules représentations mais par des contenus non intentionnels (en particulier des interdépendances). Ainsi, la mutation civilisatrice et la rationalisation qu’elle entraîne se distinguent d’un changement des contenus de conscience. Elles correspondent à une modification de l’habitus humain dans son ensemble, si bien que la recherche sociologique ne doit pas s’enfermer dans l’étude des seules idées mais tenir compte des structures pulsionnelles, de l’orientation et de la morphologie des émotions et des passions. On perçoit alors ce que doit cette « théorie sociologique des émotions » à la psychologie freudienne des profondeurs (p. 124).

S’il faut pourtant aller « au-delà » de S. Freud, c’est d’abord en raison du modèle centré sur l’individu que celui-ci mobilise. L’homme freudien serait une variante de cet homo clausus que fustige N. Elias. Ensuite, S. Freud naturaliserait les produits de l’histoire (soutenant par exemple l’existence chez l’homme d’une tendance à l’agression, ou d’une agressivité naturelle), de sorte qu’il faudrait, à l’inverse, travailler à historiciser les découvertes de la psychanalyse. S. Freud serait encore prisonnier d’un modèle dualiste opposant, outre l’individu et la société, la nature et la culture. Enfin, son orientation psychopathologique l’empêcherait de comprendre que toutes les difficultés que rencontre l’habitus social, tous les mécanismes d’autorégulation des pulsions, ne sont pas à interpréter comme pathogènes et qu’il existe des remèdes socialement institués – N. Elias reprend ici sa théorie des loisirs – pour permettre aux individus d’exprimer plus librement leurs émotions. En vertu de ces divergences de vue, qui font de N. Elias un hétérodoxe en matière de « théorie » psychanalytique, l’originalité de sa démarche, comme l’explique Marc Joly, consiste à construire un modèle synthétique de psychologie sociale en partant de la psychanalyse, sans pour autant l’inscrire dans le champ psychanalytique. [End Page 492]

Cette critique serrée renseigne davantage sur les exigences que doit remplir la psychologie sociale que sur des manquements véritables de la théorie freudienne. Si la ligne générale du procès intenté à S. Freud est claire et engage une refonte de la théorie psychanalytique (le déficit de prise en compte du social et du sociohistorique), un certain nombre d’attaques peuvent être discutées au moyen d’une lecture...

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