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Reviewed by:
  • L’introduction du marxisme en France. Philosoviétisme et sciences humaines, 1920-1939 by Isabelle Gouarné
  • Laurent Jalabert
Isabelle Gouarné L’introduction du marxisme en France. Philosoviétisme et sciences humaines, 1920-1939 Rennes, Pur, 2013, 288 p.

L’ouvrage d’Isabelle Gouarné, issu d’une thèse de doctorat en sciences sociales, revient sur le philosoviétisme dans les sciences humaines en France durant l’entre-deux-guerres par le biais d’une réflexion sur l’usage du marxisme dans les travaux universitaires. En réalité, il s’agit surtout d’un travail sur la relecture de la pensée de Karl Marx et Friedrich Engels qui fut mené durant les années 1930 dans l’université française, à travers une étude systématique de fonds d’archives, de revues et de journaux, reflets de la production scientifique de l’époque. L’auteure remet en question l’idée que le marxisme philosoviétique de ces années serait une simple vulgate « marxiste-léniniste » néostalinienne et souhaite montrer qu’il est en fait bien plus complexe.

Compte tenu de l’ampleur du sujet, même si celui-ci a déjà été amplement labouré1, l’auteure a pris pour focale l’itinéraire du groupe du Cercle de la Russie neuve, qui offre le double avantage d’apparaître comme « un groupe de référence » par sa production scientifique et de disposer de fonds d’archives s’y rapportant extrêmement riches. Ce groupe, qui comprend une commission scientifique d’une quarantaine de membres venus de l’université, est au cœur du lien entre l’Union soviétique et les milieux intellectuels français des années 1930 et se donne pour but de faire connaître l’activité scientifique soviétique. Le plan de l’ouvrage, chronologique, tente alors en trois temps de retracer son itinéraire au miroir du monde intellectuel français de l’époque.

La première partie (1920-1932) présente la genèse de ce philosoviétisme par une approche sociologique de l’échantillon étudié (des biographies très utiles sont présentées en annexe). L’auteure ausculte les trajectoires de quarantequatre clercs, aussi divers que Jean Bruhat, Georges Cogniot, Armand Cuvillier, Georges Friedmann, Paul Langevin, Jacques Soustelle, Henri Wallon et bien d’autres. Elle en vient à dresser une typologie en trois volets : des « intellectuels thoréziens » (dominés par un engagement au Parti communiste français qui leur permet de rompre avec l’académisme et qui se traduit par un travail intellectuel dans l’appareil partisan), des « enseignants militants du secondaire, voire du primaire », qui poursuivent leur engagement sans adhésion systématique au Pcf, et des « intellectuels universitaires » qui gravitent autour du Pcf en combinant leur travail scientifique avec leur engagement politique (I. Gouarné opère ici une distinction entre scientifiques purs et chercheurs en sciences humaines).

À partir de cette typologie, la deuxième partie permet d’entrer dans le cœur de la période étudiée. Convaincante, l’auteure entre dans les subtilités chronologiques de la période, insistant sur le rôle de la diplomatie soviétique vis-à-vis des clercs (les voyages en Urss, particulièrement les échanges scientifiques internationaux, sont ici centraux). Elle en vient à la conclusion que, dès 1932, la commission scientifique du Cercle de la Russie neuve est une instance de médiation aux yeux de Moscou. Apparaîtraient ainsi les premières traces de l’intégration d’un renouveau marxiste parmi les scientifiques français. I. Gouarné insiste ensuite sur le revirement politique du Pcf face au danger fasciste (1933-1934), et en fait un temps décisif de l’intégration des universitaires dans le parti, élément bien connu de l’historio- [End Page 482] graphie, mais qui trouve ici une confirmation importante par le biais de l’entrée de l’histoire des idées plus que par celui de l’organisation structurelle.

Au sein de ce mouvement, le Cercle de la Russie neuve joue un rôle pivot, qui est bien mis en lumière. Dans cette dynamique croissante, les universitaires...

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