In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

Reviewed by:
  • The Mass Observers: A History, 1937-1949 by James Hinton
  • Ariane Mak
James Hinton The Mass Observers: A History, 1937-1949 Oxford, Oxford University Press, 2013, XIV- 401 p.

Ce livre constitue la première véritable histoire du Mass Observation (MO), une organisation britannique de recherche en sciences sociales créée afin de transférer les méthodes de l’anthropologie britannique expérimentées dans les îles Trobriand pour les appliquer à la société anglaise de son époque. De 1937 à 1949, le MO a mené de front des activités multiples : de nombreuses enquêtes de terrain, la collecte des réponses à des questionnaires mensuels de la part d’un panel national de 3 000 volontaires, ainsi que celle de très nombreux journaux intimes qui constituent l’un des fonds les plus étendus de l’écrit de soi à l’échelle mondiale. Longtemps considérées par les historiens comme un réservoir d’illustrations destinées à rehausser de couleurs vives les évocations de la guerre, les archives du MO, déposées à l’université du Sussex à Brighton en 1975, se sont aujourd’hui imposées comme une ressource essentielle de l’histoire sociale de la Seconde Guerre mondiale. Pourtant l’histoire de cette institution originale n’avait jamais fait l’objet d’une véritable étude. C’est chose faite avec l’ouvrage de James Hinton, qui, en plus d’éclairer les conditions de production de ces archives dans une perspective heuristique, démontre la richesse de cette histoire prise pour objet d’exploration en soi.

De cette organisation, l’historiographie retenait principalement qu’elle avait été fondée à la suite de la crise constitutionnelle de 1936 par Tom Harrisson, un anthropologue tout juste de retour des Nouvelles-Hébrides, Charles Madge, un journaliste et poète, et Humphrey Jennings, un documentariste proche du mouvement surréaliste. Dans un chapitre liminaire, l’auteur montre que seuls les deux premiers ont véritablement œuvré à la création de l’organisation, l’influence de H. Jennings comme du surréalisme ayant été largement surestimée. Le projet politique du MO – donner la parole aux classes populaires afin de redresser les propos tenus en leur nom par la presse et les représentants politiques – est resitué par J. Hinton dans le climat de front populaire des années 1930. C’est aussi la place originale de cet organisme de recherche indépendant dans les débats scientifiques de l’époque qui est examinée : à une période où la sociologie britannique, en quête de légitimité, se tournait largement vers les méthodes quantitatives, le MO se revendiquait de la tradition de l’anthropologie britannique et de l’École de Chicago. Il est d’ailleurs remarquable que Bronisław Malinowski ait été son trésorier et qu’il ait soutenu l’organisation malgré ses mises en garde contre certaines faiblesses méthodologiques propres à la première année d’activité.

Toutefois, le déplacement central opéré par J. Hinton est suggéré dès le titre de l’ouvrage : il s’agit de placer la focale non plus sur les fondateurs et sur T. Harrisson en particulier, mais bien plutôt sur le collectif d’enquêteurs et le personnel administratif. Ceux-ci ont longtemps été ignorés par l’historiographie, escamotés par la figure publique de T. Harrisson autant que par la règle selon laquelle toute publication était signée « Mass Observation » et tout rapport d’enquête interne des seules initiales de l’enquêteur. Or le livre de J. Hinton, aboutissement de près de vingt ans de recherches, reconstruit un réseau d’enquêteurs que les fragmentaires archives internes du MO ne laissaient qu’entrevoir.

Une approche quasi coloniale de l’enquête adoptée par une bande de jeunes gens privilégiés : telle est l’image souvent associée à la première grande enquête menée à Bolton, et que la présente étude vient contredire, soulignant [End Page 480] la place centrale occupée alors par des enquêteurs issus des classes ouvrières. Un collectif aux contours mouvants est ainsi dessiné, que la conscription bouleverse...

pdf

Share