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Reviewed by:
  • The Making of Romantic Love: Longing and Sexuality in Europe, South Asia and Japan, 900-1200 CE by William M. Reddy
  • Piroska Nagy
William M. Reddy The Making of Romantic Love: Longing and Sexuality in Europe, South Asia and Japan, 900-1200 CE Chicago, University of Chicago Press, 2012, 439 p.

William Reddy, anthropologue autant qu’historien, est connu comme l’un des chefs de file de l’histoire des émotions depuis son ouvrage pionnier, The Navigation of Feeling: A Framework for The History of Emotions (2001). Dans son dernier livre, d’une manière doublement audacieuse, il propose une étude comparée de l’amour dans un contexte d’histoire globale au Moyen Âge (900-1200), abordée sous un angle anthropologique. L’auteur, ni orientaliste ni médiéviste, n’y propose donc pas de réflexion sur la notion de Moyen Âge et sa validité hors de l’Occident; c’est le choix de ses « terrains » de comparaison qui le conduit à s’aventurer dans cette période pour l’occasion.

L’amour romantique est défini par l’auteur comme le composé d’un désir-appétit égocentré et d’un sentiment d’amour spirituel et altruiste, dont l’accomplissement conjoint est bien plus satisfaisant que celui du désir ou de l’amour seul, et dont la quête peut devenir une véritable religion terrestre. L’objectif du livre est double. D’une part, il s’agit de démontrer que l’amour romantique, le paradigme occidental de l’amour-désir, a été formulé pour la première fois sous la forme de l’amour courtois au xiie siècle et s’est perpétué depuis lors. W. Reddy souligne le caractère éminemment culturel du complexe amoureux occidental, dont il retrace les conditions d’émergence dans la première partie du livre. D’autre part, au lieu de célébrer l’amour romantique comme une sophistication dont seul l’Occident aurait été capable, il lui oppose l’étude de deux autres cultures amoureuses tout aussi raffinées, au Japon et en Inde. Il procède ainsi, dans une seconde partie, à l’analyse comparée des liens entre trois cultures amoureuses contemporaines : l’Occident chrétien (xie-xiie siècles), la tradition vishnouite en Inde du Nord-Est (ixe-xiie siècles) et le Japon de la période Heian (ixe-xiie siècles).

Le choix des termes de comparaison est déterminé autant par l’existence, au Japon et en Inde, de cultures d’amour particulières que par l’absence d’influences réciproques entre l’Extrême-Orient et l’Occident latin à l’époque médiévale : les configurations d’amour raffiné devaient donc s’y élaborer sui generis. Cette autonomie culturelle permet de comprendre l’évitement de la comparaison (qui semble naturelle à l’historien occidentaliste) avec le monde de l’Islam médiéval, en particulier de l’Espagne andalouse, dont l’influence est souvent reconnue parmi les facteurs ayant concouru à la genèse de l’amour courtois.

L’introduction offre un état de la question interdisciplinaire des liens entre amour, désir et sexualité, fondé sur la conjonction d’arguments provenant des neurosciences affectives, de l’anthropologie, des études de genre et de l’histoire de la sexualité, qui établit que le rapprochement amour-désir-sexualité est culturellement produit en Occident. Pour en cerner l’émergence, W. Reddy propose de s’intéresser aux contours précis des pratiques du passé et des appareils conceptuels qui leur sont liés. Il ne dit pas seulement que l’amour romantique serait un produit occidental mais, allant à l’encontre des socles culturels de la psychanalyse et d’une grande partie de la psychologie actuelle, qui voient dans le désir un phénomène universel, il affirme en arrière-plan que le désir sexuel, formulé comme appétit charnel qui peut être coupé du sentiment, est une configuration spécifique à notre civilisation.

Cette affirmation, que l’on peut qualifier de constructivisme fort, surprend de la part d’un auteur qui s’était fait connaître par un...

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