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Reviewed by:
  • La méthode de Zadig. La trace, le fossile, la preuve by Claudine Cohen
  • Nathan Schlanger
Claudine Cohen La méthode de Zadig. La trace, le fossile, la preuve Paris, Éd. du Seuil, 2011, 343 p.

Dans cet ouvrage riche en détails et abondamment illustré, Claudine Cohen invite ses lecteurs à l’exploration d’un passé lointain et révolu, fait de dinosaures, de reptiles primitifs, de fossiles, de traces et de pistes, mais aussi d’enjeux de démonstration, de preuves et de reconstructions, d’authentiques et de faux, d’expérimentations de pierres taillées et de reproductions d’art pariétal. Dans le sillage de Stephen Jay Gould, l’auteure apporte des éléments nouveaux et des développements pertinents sur le faisceau de disciplines qu’elle entend embrasser. Peut-être à cause de cette envergure, l’histoire des sciences mise en avant reste plus convenue que critique, accentuant davantage les accomplissements individuels de savants plus ou moins célèbres (tels Georges Cuvier, Charles Darwin, André Leroi-Gourhan, mais aussi Edward Hitchcock, Vladimir Kovalevski ou Nikolaï Semenov) que les contextes intellectuels et institutionnels dans lesquels se façonne, se débat et se déploie le savoir.

Le fil conducteur du livre est la « méthode de Zadig », c’est-à-dire l’attention portée à la trace, à l’indice, à l’infiniment petit et à l’a priori insignifiant, comme le moyen de [End Page 441] prendre connaissance d’événements qui n’ont pas été observés directement et qu’il s’agit de comprendre et de reconstruire. Cette thématique « indiciaire » est clairement exposée et développée le long de l’ouvrage autour des disciplines sollicitées – la paléontologie animale et l’archéologie préhistorique – que l’auteure combine volontiers sous le vocable de « sciences de la préhistoire » (p. 22, 24, 202 et 277), ou encore d’« étude du passé préhistorique de la Vie et de l’Homme » (p. 228 et 279). Or cette convergence, pourtant essentielle à l’édifice, reste bien trop implicite.

Au niveau simplement sémantique, on peut se demander ce que veut dire désormais ce terme de « préhistoire », qui s’appliquerait indifféremment à la Vie comme à l’Homme, à l’eohippus miocène comme au chasseur magdalénien? Au-delà du risque de dénaturation, il y a lieu de s’interroger sur le rapprochement ainsi opéré entre paléontologie et préhistoire, disciplines supposées sœurs ou proches. Pour s’en tenir à la problématique « zadigienne », comment deviennent (ou non) intelligibles, en termes de démarches et d’interprétations, les traces pour ainsi dire existentielles que ne peut manquer de laisser toute matière vivante (empreintes, fossiles) et les marques de gestes intentionnels, qui sont le fait d’acteurs dotés de buts, de volitions et de représentations collectives? La question se pose à propos des traces de pas d’hominidés datant de 3,7 millions d’années sur les cendres volcaniques de Laetoli, dont la reconstruction en « couple originel au paradis » (ou le fuyant) proposée par l’American Museum of Natural History déclencha une controverse qui est, justement, sans commune mesure avec les débats qui animent les spécialistes sur l’enjambée de tel ou tel proto-amphibien. La question revient à propos des marques de griffes que laissent des ours sur les parois des cavernes, se juxtaposant à d’autres, faits d’humains qui parfois les évoquent ou apposent à proximité leurs propres mains en « négatif », amputées ou non de leurs doigts (p. 96).

Lorsque C. Cohen propose de chercher « des repères pour penser une continuité de l’empreinte au geste de la main qui trace, qui dessine et qui peint » (p. 91), ou encore, toujours à propos l’art paléolithique, de passer, « sans rupture de continuité, de la trace au tracé, et du tracé à la figuration » (p. 102), se présente le risque d’un glissement imperceptible de l’analogie de méthode vers l’amalgame. Cette configuration en « sciences de la préhistoire » qu’érige l’auteure représente un choix, un rapprochement qui peut certes se justifier, mais qui a...

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