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  • Le sursis littéraire. Politique de Gauvreau, Miron, Aquin by Martin Jalbert
  • Sébastien Dulude
Martin Jalbert, Le sursis littéraire. Politique de Gauvreau, Miron, Aquin, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, coll. Nouvelles études québécoises, Montréâl 2011, 206 p., 29,95$

À l’origine une thèse de doctorat, l’ouvrage de Martin Jalbert se développe à partir du paradoxe de toute littérature de l’émancipation. L’auteur pose son regard sur des poétiques qui s’affichent comme des « dispositifs esthétiques construits sur l’idée de la production d’une parole qui sortirait du langage et de sa condition contingente dont ils exploitent pourtant les pouvoirs ». Une telle parole serait à la fois nécessaire pour rendre compte d’un état de fait social et politique (on pense immédiatement au joual) et en sursis, puisqu’une fois dépassées les contingences de son existence, une fois réalisée l’émancipation souhaitée, elle ferait, paradoxalement [End Page 497] donc, face à sa propre disparition. Or, si l’équation reliant le creuset social et la langue qui en rend compte notamment par les traces qu’elle porte sur elle-même est connue – et fait figure de « chemin de traverse rapide » –, Jalbert aborde la question selon une tangente autre, en examinant comment cette littérature, en tant que modalité interprétative, peut agir et transformer, investie là d’une puissance qui relève d’une double propriété du langage, capable de désigner les objets du monde de même que d’en transformer les représentations. Ainsi, c’est dans ce jour entre la contingence du langage et ce qu’il renferme secrètement (de l’héritage romantique aux « paroles muettes » de Jacques Rancière) que « la littérature tente de déjouer sa propre condition de possibilité ». L’émancipation se joue ainsi à la faveur de « la disponibilité égalitaire des mots que n’importe qui peut reprendre à son compte », laquelle permet de transformer les rapports entre le langage et les réalités, notamment lorsque ces dernières sont identifiées en tant que conditions de domination.

S’il est une œuvre qui a cherché de « nouvelles formes à la capacité des mots de capturer les corps », celle de Claude Gauvreau vient naturellement à l’esprit. Antidote à la sclérose de la Grande Noirceur, l’automatisme se présente en un art vivant et total qui, loin de négliger la réalité, imprime plutôt sur la matière une vibration intentionnée, « démarche consciente et production inconsciente », dans la perspective d’élargir le champ d’action en explorant des réalités jugées supérieures. De cette saisie au plus large du réel, Jalbert montre que les Automatistes invitent à revoir l’opposition habituelle entre l’art engagé et l’art pour l’art, puisque chez Gauvreau, le découpage s’opère plutôt entre exploration et exploitation, regroupant sous ce dernier terme rationalité, art académique, ainsi que domination politique et économique. Si l’exploréen, en revanche, fonde « un nouveau rituel communautaire […], un espace spécifique qui échappe aux formes ordinaires de l’expérience, marquée par ces relations d’exploitation », cet espace n’agit pas par une rupture entre la politique et l’art, mais bien dans sa projection vers une nouvelle communauté possible, annonçant ainsi l’« espace sans clôture » d’une nouvelle manière d’être et de sentir.

Un tel processus d’« abolition esthétique des rapports d’exploitation » est également au cœur de la figure christique de la femme-chef-d’œuvre chez Gauvreau, dont « l’humanité supérieure » de la beauté baroque fusionne idéal et réalité, art et non-art; en sursis, elle aussi, au devant d’une époque non encore advenue où « elle n’existerait plus comme réalité unique et séparée ». L’image, enfin, est chez Gauvreau une autre manifestation d’un réagencement d’éléments contradictoires, qui tire sa puissance, à nouveau, d’un double principe : « produit d’une absolue liberté créatrice et formation d’un nouveau rapport au monde », qui se...

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