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Reviewed by:
  • La mélancolie des Misérables. Essai de sociocritique by Pierre Popovic
  • Roland Le Huenen
Pierre Popovic, La mélancolie des Misérables. Essai de sociocritique, Montréal, Le Quartanier, coll. Erres essais, 2013, 311 p., 30,95$

Dans ce nouvel ouvrage, Pierre Popovic continue d’explorer le potentiel opératoire d’un concept qu’il avait déjà avancé dans un essai de 2008 consacré à un poète mineur, Paulin Gagne, celui d’« imaginaire social ». Défini dans l’introduction du volume comme « ce rêve éveillé que les membres d’une société font, à partir de ce qu’ils voient, lisent et entendent et qui leur sert de matériau et d’horizon de référence pour tenter d’appréhender, d’évaluer et de comprendre ce qu’ils vivent ; autrement dit : il est ce que ces membres appellent la réalité », ce concept développe sa compétence critique dans le cadre d’une sociocritique dont les prémisses sont empruntées en partie aux travaux de Claude Duchet. Ainsi la sociocritique [End Page 435] vise-t-elle avant tout la « socialité » du texte, ce qui dans le texte est mis en relation avec la rumeur des discours extérieurs selon lesquels la société se représente au moyen d’un mouvement constant de va-etvient intra et inter-sémiotique. Au centre de l’analyse se trouve l’idée que le réel échappe à la « sémiosis » sociale, tandis que la réalité ne serait pas autre chose que le produit de cet imaginaire à l’œuvre sur tous les fronts de la représentation. Affleure ici, sans qu’il en soit fait mention, comme un lointain souvenir du relativisme kantien sur les conditions de la connaissance. Partant du principe que l’être humain est un lieu de discours, discours dont ce dernier est le promoteur ou qui lui viennent de son environnement, l’auteur affirme que l’imaginaire social coïncide avec une littérarité générale qui serait produite par l’intervention de cinq modes de sémiotisation : une narrativité source de récits et de héros; une poéticité qui accommode la parole de ses rythmes et la rehausse de ses figures; une cognitivité qui déploie des façons de connaître et de faire connaître; une théâtralité qui exhibe la parole et la ritualise; une iconicité qui interpelle par son contingent d’images, de photos et de films. Cet imaginaire agirait aussi bien aux plans individuel, communautaire et collectif ou macrosocial selon la terminologie de Weber, et favoriserait la création de quatre assemblages de représentations : celles qui s’attachent à l’histoire et à la structure de la société, à la relation entre l’individu et la collectivité, à la vie érotique, et enfin au rapport avec la nature.

Parmi les représentations courantes de la pauvreté au XIXe siècle relevées au premier chapitre, retenons celle qui confie au progrès le soin d’en éradiquer l’essor, mais aussi a contrario celle qui, se fondant sur l’Évangile, trouve dans les paroles du Christ à Béthanie (« Vous aurez toujours des pauvres avec vous; mais moi, vous ne m’aurez pas toujours ») la justification d’un état de fait permanent, retouchée par la formule, épinglée par Claude Duchet, « pauvre, mais honnête » dont l’ambition est de détourner la question de l’économie vers la morale. La dernière partie du chapitre, valant à titre d’illustration méthodologique pour le reste de l’essai, convoque le discours sur la misère que Victor Hugo prononça à la Chambre le 9 juillet 1849, et montre ce que la parole hugolienne doit à l’imaginaire social de son temps, mais aussi en quoi le truchement de l’écrivain, par ses choix esthétiques, le dévie, le réassigne et le transforme. Le deuxième chapitre, s’appuyant sur les marqueurs liminaires du roman Les Misérables (titre, exergue, incipit) établit le principe d’« amplification encyclopédique » dont l’objectif est de développer le spectre narratif de la misère au moyen d’une multiplicité de récits individuels destinés...

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