In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

Reviewed by:
  • Attention écrivains méchants by Simon Harel
  • Hugues Corriveau
Simon Harel, Attention écrivains méchants, Québec, Presses de l’Université Laval, coll. Essais littéraires 2010, 182 p.

Écrire dans le doute et l’incertitude autour de l’origine de la méchanceté et de ses manifestations dans l’écriture se révèle le lieu irradiant à partir duquel Simon Harel entre en cette dynamique dramatique et pleine d’un sens obvie. Surtout quand on fréquente certaines œuvres qui imposent leur poids de cruauté, de marginalité plus ou moins agressive, d’affirmation plus ou moins radicale contre l’autre chose, le manqué, l’absent.

On ne saurait mettre en doute la pertinence de cette recherche poussée et belle, malgré le risque à chaque fois imminent de s’engouffrer, de se perdre. Professeur, Harel n’est pas sans se questionner sur la possibilité de seulement enseigner « la méchanceté », tellement s’ouvrent alors des pans d’affects, ces « affects troubles de la méchanceté », comme il le spécifie, qui pourraient altérer l’intégrité précaire d’un savoir fragile.

« Est-il loisible de penser que tout puisse se dire et s’écrire sans que cela prête à conséquence ? En d’autres termes, peut-on tolérer l’énonciation des pires horreurs sous la condition que la fiction dédouane de toute responsabilité ? » Question fondamentale en effet pour qui cherche à percer la pulsion plus ou moins morbide qui préside à l’étalement de telles contraintes sur le discours convenu, le libérant dans la langue même des gangues d’une pensée conservatrice, contraignante.

C’est un essai de morale littéraire qu’on nous demande de parcourir, mais oui, à strictement parler, dans la perspective où se pose ici la question de l’admissibilité des discours déviants, des maltraitances linguistiques, des contorsions érotiques des images, des entrelacements lascifs ou violents qui découlent des pratiques scripturaires de la rupture. C’est à [End Page 394] une longue interrogation de l’essayiste en regard de ce qu’il se permet, s’autorise, se marginalisant forcément, dès lors qu’il s’introduit dans les failles de ce qui se produit quand « ça » parle, quand « ça » surgit dans la langue, autrement, tout comme « l’écrivain méchant, qui combat son prochain avec l’arme blanche du langage, fait appel à cette percussion qui loge bruyamment dans l’entrechoquement des mots ».

En fait, ce doute immanent à la recherche de Harel lui sert, en somme, de prolégomènes : « [I]l peut être discutable de valoriser une méchanceté littéraire qui tiendrait lieu de nouvelle exigence de lucidité. » Tout est là, à savoir comment ouvrir à l’œil sur le contrat social de la parole en y éveillant le feu nourri du secret qu’elle couve, en relevant sa capacité de transgression, d’éveilleuse, en suscitant sa capacité de mise en rupture de l’ordre inaccompli. Peut-on aller jusqu’à demander à la langue de répondre à la question posée à Doubrovsky par Bernard Pivot : « la fiction peut-elle tuer ? »

Il scrute, il fouille les œuvres, piste les coups de sens qui font mal, qui mettent à mal le bien-pensé, les hégémonies, les dictatures de la pensée ou du politique. Sont conviés au banquet, au premier chef Naipaul et Chatwin, mais aussi Toltoï, Volodine, Lautréamont, Céline, Aragon, Christine Angot ou Kafka… Houellebecq est là avec Baudelaire et combien d’autres. Ces œuvres où se dépensent les mots et les déclarations, les anathèmes et les maladies de la langue quand elle hésite et s’enfonce jusqu’au cœur de l’interdit. Il y a réellement, dit-il, « un désespoir de la méchanceté ».

Mais attention, rien de clair ici, ce n’est pas le but : car Harel « s’exerce à formuler avec la plus grande ambivalence » cet itinéraire déviant autour de l’indicible manifeste de la cruauté. Se rechercher soi, en somme, à travers la quête de l’imparable méchanceté. Puisque « la condition fondatrice de l’énonciation du sujet est une adversité latente », il ne saurait entrer dans l’argumentation quelque considération de convenance...

pdf

Share