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Reviewed by:
  • Marivaux et la science du caractère by Sarah Benharrech
  • Florence Orwat (bio)
Marivaux et la science du caractère par Sarah Benharrech Oxford: Voltaire Foundation, 2013. xii+ 320pp. £60; €75. ISBN 978-0-7294-1067-0.

Dans son étude interdisciplinaire, Sarah Benharrech se propose de montrer que Marivaux demeure l’un des derniers auteurs à conjuguer les belles-lettres, dépositaires d’un savoir ancestral sur l’homme, avec les sciences de son époque, avant leur divorce consommé par les encyclopédistes et le xixe siècle.

Héritière d’une connaissance sur l’homme qui trouve ses racines dans la poétique aristotélicienne du personnage et dans la philosophie morale théophrastienne, la pensée de Marivaux, pour nourrie qu’elle soit des moralistes classiques, orchestre une série d’innovations anthropologiques à mettre en relation avec le newtonisme et une histoire naturelle alors établie autour de l’entreprise anti-classificatoire de Buffon. Rejetant le système fixiste, le mécanisme cartésien mal compris, les thèses de la préformation et de la préexistence des gènes (première partie), et récusant conjointement l’essentialisme du caractère, contraires selon lui à la logique du vivant, le dramaturge-romancier, de 1717 à 1749, explore l’identité personnelle et la question du moi à un tournant de leur histoire dans l’imaginaire et les formes littéraires.

Ainsi, contre le principe de la synecdoque pars pro toto qui définissait l’homme à partir d’un trait saillant foncièrement discriminant, Marivaux démonte-t-il les ressorts de l’écriture métonymique dont les moralistes classiques faisaient leur miel, afin de restituer, grâce à des personnages amphibies—ces inclassables qui embarrassaient la nomenclature naturaliste (deuxième partie)—la complexité chaotique d’une réalité vécue empiriquement au travers de ces nombreux « petits riens » militant en faveur d’une « nature mobile ». Seuls comptent désormais les métamorphoses, les rebondissements, les revirements du sort auxquels sont confrontés les personnages—des épreuves qui contribuent à façonner leur identité et leur singularité.

Le personnage marivaudien, tel que l’incarnent au théâtre ou dans le genre romanesque les Dorante, Marianne et Jacob, naît, on l’aura compris, de la déconstruction de la caractérologie classique et conséquemment de l’éthopée. En résulte une poétique qui multiplie les états, les rencontres et les habits—marqueurs provisoires d’une situation ou d’un rang nécessairement appelés à évoluer ou à changer. L’essor de ce personnage amphibie et hybride (qui n’a cependant rien du monstre) s’inscrit plus globalement dans une mouvance qui, à la suite de la Querelle d’Homère, repense l’historicité du moi et qui, après Locke, privilégie l’accidentel sur l’essentiel pour critiquer la prééminence donnée à la définition sur [End Page 195] la description. Interrogeant les principes d’uniformité, de stabilité et d’immutabilité, Marivaux inventerait donc le personnage sans caractère.

Benharrech suit, dans la deuxième partie de son étude, la trajectoire de ce personnage sans racine, souvent sans famille, sans ordre, sans rang—un personnage libre de devenir ce qu’il désire être, auteur et garant de lui-même, quitte à se heurter autant aux préjugés du monde qu’aux conventions littéraires. C’est pourquoi les romans de Marivaux ne sauraient être qu’inachevés et les dénouements dramatiques incomplets et précipités. Le peu de cas fait des fins témoigne d’une hantise de la clôture—bref de tout ce qui se fige ou demeure sur le point de l’être. L’inachèvement est donc lesté d’une valeur esthétique et éthique en ce qu’il laisse place au suspens, au « coup de dé », lesquels contreviennent à l’idée de Providence, de fatalité (nécessairement mortifère), de destin d’avance tracé.

Les anamorphoses romanesques servent en conséquence une conception de l’existence et de la morale qui privilégie la surprise, la vitalité, l’énergie. Le « sans caractère », comme l’envisage la dernière partie, aura de beaux jours devant lui, et sa promotion...

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