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  • Pour une histoire politique de la race by Jean-Frédéric Schaub
  • Nicolas Martin-Breteau
Jean-Frédéric SCHAUB. – Pour une histoire politique de la race, Paris, Le Seuil, 2015, 336 pages. «La Librairie du XXIe siècle».

Cet ouvrage propose un «modèle d’interprétation historiographique» des processus de racialisation (p. 314). Il s’agit en effet d’un manifeste dans lequel Jean-Frédéric Schaub, historien de la péninsule ibérique à l’époque moderne, élabore une «réflexion qui éclaire les processus de formation des catégories raciales en Occident, en tant que ressources politiques depuis la fin du Moyen Âge jusqu’à nos jours» (p. 61). Ce petit livre dense, ambitieux et très stimulant met ainsi en avant la perspective des historiens sur la notion de race, un sujet tabou en France et pourtant omniprésent.

Divisé en huit chapitres, l’ouvrage appuie sa démonstration sur trois critiques liminaires. D’abord, l’auteur défend une histoire indépendante de l’agenda des sciences naturelles, considérant à raison que leurs recherches sur la race sont la conséquence plutôt que la cause de l’usage politique des catégories raciales. Ensuite, tout en reconnaissant l’immense apport des sciences sociales anglophones sur les questions raciales, l’auteur critique leur «solide anglo-centrisme historiographique» (p. 225) leur faisant négliger presque totalement la production scientifique sur d’autres aires culturelles et à des époques antérieures à la colonisation de l’Amérique. Enfin, l’auteur conteste l’équivalence entre race et couleur de peau notamment imposée par les répercussions globales de l’histoire afro-américaine. Cette «obsession coloriste» opposant noir et blanc (p. 248) exclut en effet du cadre d’analyse des race studies d’autres situations et d’autres dynamiques de construction raciale13.

Arrimé à ces prémisses, Jean-Frédéric Schaub invite à prendre en compte «une histoire plus longue et une plus grande diversité de situations» (p. 78). Pour l’auteur, l’origine du racisme se situe dans la persécution institutionnalisée des Juifs de la péninsule ibérique au XVe siècle. Si cette persécution ancienne prit alors des formes nouvelles, c’est qu’elle se fonda sur la généalogie, établissant une relation insécable entre impureté de la religion et impureté de l’ascendance, et rendant inefficace toute conversion au christianisme. En faisant de l’hérédité biologique – de la nature – une cause inédite de stigmatisation collective, les XVe et XVIe siècles ibériques représentent, d’après l’auteur, «la matrice et le terreau» de l’histoire du racisme, notamment colonial (p. 257). En visant un groupe socialement intégré et physiquement invisible, la racialisation des Juifs espagnols et portugais ne se fonda pas prioritairement sur le phénotype. Autrement dit, bien que la transmission généalogique du stigmate ait été corporelle – la «circulation intergénérationnelle d’un sang suspect» (p. 82)–, elle ne fut pas nécessairement visible.

Ce dernier point est central dans la démonstration de l’ouvrage. Il permet à l’auteur, après Maurice Olender14, de rappeler ce paradoxe: les processus de racialisation sont une mise à distance du même plutôt que du différent. L’auteur avance ainsi qu’«un raisonnement de type racial répond en premier lieu à la nécessité de révéler des distinctions que l’œil n’identifie plus» (p. 232). En ce sens, les processus de racialisation sont présentés comme des processus de différenciation, d’altération, d’autant plus virulents que l’écart entre groupes sociaux tend à disparaître. Moins pressante lorsque ces groupes se tenaient à leur «place» sociale, la racialisation des [End Page 192] Juifs comme celle des Afro-Américains s’est exacerbée au moment même de leur émancipation.

Ce premier paradoxe ouvre la voie à un second. Jean-Frédéric Schaub suggère en effet que les phénomènes de racialisation sont typiques des sociétés occidentales précisément à cause de l’ambition universaliste de leur culture religieuse et politique. Puisque...

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